mercredi 5 décembre 2007

L'affaire Lydia Cacho

L'affaire Lydia Cacho continue de secouer le Mexique. Près de deux ans après le traitement brutal infligé à cette journaliste, qui avait dénoncé les réseaux de pornographie pédophile et leurs influents protecteurs, l'opinion mexicaine a accueilli avec consternation le verdict de la Cour suprême, considérée comme l'ultime recours contre l'impunité.

Par 6 voix contre 4, la plus haute juridiction du pays a en effet estimé, jeudi 29 novembre, que les garanties individuelles de Lydia Cacho n'avaient pas été violées - ou alors, de façon "négligeable" -, et que la participation concertée des autorités à un complot contre elle n'était pas prouvée, malgré les éléments souvent accablants rassemblés par le magistrat rapporteur, dans un dossier long de 1 250 pages. Les deux seules femmes de la Cour ont fait peser la balance contre la journaliste.

Ce verdict revient à exonérer le gouverneur de l'Etat de Puebla, Mario Marin, de toute responsabilité dans cette affaire. Membre du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre gauche), qui a dirigé le Mexique de 1929 à 2000 et reste un point d'appui essentiel du gouvernement de droite, M. Marin s'était trouvé, en février 2006, au centre d'un énorme scandale. Des enregistrements de ses conversations téléphoniques, parvenues à des médias mexicains, et dont il a reconnu l'authenticité, révélaient le rôle qu'il avait joué dans l'arrestation de Lydia Cacho, fin décembre 2005.

Transférée par la route depuis Cancun, où elle réside, jusqu'à Puebla, où ses adversaires voulaient la faire condamner pour diffamation, la jeune femme a été soumise durant ce périple à toutes sortes de pressions, les policiers la harcelant sexuellement ou la menaçant avec un pistolet. A son arrivée à la prison, elle est avertie par une gardienne qu'une détenue de droit commun est chargée de la violenter "avec un bâton". "Je viens de donner un bon coup sur la tête de cette vieille salope", s'était alors vanté M. Marin auprès de l'un de ses interlocuteurs, l'industriel textile Kamel Nacif, un ami du pédophile Jean Succar Kuri, aujourd'hui emprisonné au Mexique après avoir été extradé des Etats-Unis. Pour le remercier, l'industriel promettait à son "gober precioso" ("merveilleux gouverneur")... deux bouteilles de cognac.

VOLTE-FACE DU PAN

Quelques mois plus tôt, en effet, la journaliste avait publié un livre documenté et courageux, Les Démons de l'Eden, sur des réseaux de pornographie pédophile et dans lequel elle mettait notamment en cause deux personnalités politiques en vue, Miguel Angel Yunes, ancien sous-secrétaire à la sécurité publique, responsable de la Sécurité sociale dans le gouvernement du président Felipe Calderon, et le député Emilio Gamboa, actuel coordinateur de la fraction du PRI au Congrès, sans laquelle la droite ne peut réunir de majorité.

La "realpolitik" est la seule explication, aux yeux de nombreux commentateurs, de la volte-face du Parti d'action nationale (PAN, droite catholique, au pouvoir), qui avait dénoncé avec force, durant la campagne pour l'élection présidentielle de 2006, les abus du gouverneur de Puebla, mais qui garde désormais le silence.

La dérobade de la Cour suprême, en qui beaucoup mettaient leurs espoirs, atteint gravement l'image de cette institution. "Mon pays me fait mal", écrit Lydia Cacho dans son dernier ouvrage, Mémoires d'une infamie, publié juste avant de recevoir, fin octobre à New York, le Prix du courage journalistique décerné par la Fondation internationale des femmes dans les médias (IWMF) : "Je pleure sur moi, et aussi sur ceux qui ont le pouvoir de le changer, mais choisissent de perpétuer le statu quo."
Joëlle Stolz
Article paru dans l'édition du 06.12.07.

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