mercredi 5 décembre 2007

Les îles Orcades se préparent à devenir l'eldorado européen de l'énergie marine

Ils ont enfin compris!

En cette saison, le Fall of Warness n'est pas le lieu le plus hospitalier qui soit. Ce détroit situé entre Eday, une des 67 îles des Orcades (archipel qui coiffe l'Ecosse), et un îlot colonisé par les phoques, accueille pourtant un étrange monstre marin : deux piliers plantés au beau milieu des flots, travaillés sans relâche par le courant et surmontés d'une plate-forme jaune à laquelle, tel un oeil cyclopéen, se trouve suspendue une massive turbine.


L'OpenHydro - c'est son nom et celui de l'entreprise irlandaise qui l'a conçu - est un des prototypes de transformation de l'énergie marine en électricité venus se frotter aux dures conditions des îles Orcades. Malgré leur position géographique excentrée et seulement 20 000 habitants, celles-ci ont une grande ambition : devenir un "centre d'excellence" mondial pour les énergies renouvelables, selon Gareth Davies, un consultant qui préside un forum rassemblant les acteurs locaux intéressés par cette perspective.

Les Orcades se découvrent une richesse insoupçonnée : "Nous avons les vents les plus puissants, les marées les plus fortes, les vagues les plus hautes", se réjouit Gareth Davis. Alex Salmond, le premier ministre régional écossais, n'a pas hésité à qualifier le détroit qui sépare l'archipel de l'Ecosse, le Pentland Firth, d'"Arabie saoudite de l'énergie des marées". Le site recèlerait un quart du potentiel de toute l'Europe dans ce domaine.

Alors que certains, dont la France, piétinent, l'Ecosse s'intéresse à l'énergie marine depuis quelques années déjà. Le précédent gouvernement (travailliste) avait commandé, en 2003, un rapport concluant que 10 % de l'électricité écossaise pourrait, à terme, être produite par les vagues et les courants. Il évoquait une puissance de 1 300 mégawatts, équivalente à celle de certains réacteurs nucléaires.

Rien de tel pour l'instant : "Nous en sommes probablement là où l'éolien en était il y a vingt ans", estime Neil Kermode, directeur du Centre européen pour l'énergie marine (EMEC). Ce centre d'essai est unique au monde. Financé pour l'essentiel par des organismes publics, il s'est installé en 2003 à Stromness, sur l'île principale des Orcades.

Il met deux sites équipés de systèmes de mesures à la disposition des entreprises désireuses de tester leurs prototypes : le Fall of Warness pour l'énergie des courants, et Billia Croo, sur la côte ouest de l'île, pour les vagues. Sur chacun de ces sites, plusieurs câbles sont immergés. Dans les deux ans qui viennent, neuf prototypes doivent venir s'y brancher afin d'être mis à l'épreuve en conditions réelles. Tous n'y survivront pas.

"A ma connaissance, il existe aujourd'hui, de par le monde, une cinquantaine de projets de prototypes utilisant l'énergie des vagues, et environ vingt-cinq pour l'énergie des courants", dit Neil Kermode. De l'avis général, il faudra au moins encore cinq années pour que le secteur mûrisse et qu'un modèle technologique et économique se dessine. "On est un peu comme aux débuts de l'automobile, analyse Olivier Dubrule, directeur du centre de recherche de Total à Aberdeen. Il y a des inventeurs un peu partout, mais pas encore de design qui l'emporte."

Le Pelamis, un "serpent de mer" composé de tubes articulés actionnés par le mouvement des vagues, a cependant pris un peu d'avance sur ses concurrents : le Portugal, autre pays en pointe dans l'énergie marine, en a commandé trois qui devraient bientôt entrer en exploitation. Le Pelamis a été testé à Stromness. C'est encore là, dans ce modeste port jadis spécialisé dans la pêche au hareng, que débarquent chercheurs, ingénieurs et investisseurs attirés par l'émergence d'une énergie du futur.

Total a ainsi pris une participation dans Scotrenewables, une entreprise locale qui développe un projet d'hydrolienne actionnée par les courants. Le groupe français soutient aussi le Centre international de technologie insulaire (ICIT), rattaché à l'université écossaise de Heriot-Watt. Les chercheurs y travaillent sur l'interaction entre vagues et courants, mais aussi sur l'impact environnemental qu'aura l'extraction de l'énergie marine : ralentissement des courants, cohabitation avec les espèces animales, effets sur les fonds marins... Il n'y a décidément pas d'énergie parfaite.
Gilles van Kote
Article paru dans l'édition du 06.12.07.

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