Dans le monde secret des explorateurs urbains
JEAN-MARC PHILIBERT.
Publié le 31 août 2007
Actualisé le 31 août 2007 : 07h18
Il y a quelques mois, les Untergunther ont réussi à se procurer les clés du Panthéon et à s'y installer pendant plus d'un an.
Ils s'introduisent clandestinement dans des bâtiments publics qu'ils jugent délaissés. Un passe-temps nocturne pour bobos en quête de frissons.
RENDEZ-VOUS a été pris dans un bar du Ve arrondissement de Paris, à quelques rues du Panthéon. Dans l'arrière-salle enfumée, l'homme est attablé en compagnie d'une jeune femme aux cheveux courts. « Elle s'appelle Lanso et c'est la chef de notre groupe. Mais ne comptez pas sur elle pour vous parler de quoi que ce soit qui puisse l'identifier, elle ou l'un de nos amis », annonce-t-il. Crane rasé, yeux bleus très clairs, tee-shirt noir sur un jean délavé, Lazar Kunstmann raconte les Untergunther. Un nom qui sonne comme une plaisanterie pour un groupe « d'explorateurs urbains », comme ils se désignent eux-mêmes : ils s'introduisent clandestinement dans les bâtiments publics ou privés de la capitale.
Son credo ? « Restaurer les parties invisibles du patrimoine que l'administration a abandonnées ou n'a pas les moyens d'entretenir. Parfois, nous intervenons dans des endroits qu'elle-même ne connaît pas », assure Lazar Kunstmann.
Il y a quelques mois, les Untergunther ont défrayé la chronique quand ses huit membres ont réussi à se procurer les clés du Panthéon et à s'y installer clandestinement pendant plus d'un an, prenant leurs aises dans les parties hautes du bâtiment, aménageant un salon, une bibliothèque et même... un bar. Une intrusion complètement illégale que ces originaux justifient par l'état de la vieille horloge de la coupole. Un modèle Wagner de 1850, hors service depuis plus de quarante ans et abandonné à la rouille. « Si nous voulions la sauver, c'était maintenant ou jamais. Alors, nous y sommes allés », raconte Lazar Kunstmann. Il leur faudra des centaines d'heures de travail pour la remettre en marche.
Églises, souterrains, bâtiments officiels, toits d'immeuble... les adeptes de l'exploration urbaine s'aventurent partout où ils n'ont pas le droit d'aller. Une douzaine de groupes au total auraient fait de la capitale leur terrain de jeu. Soit une centaine de personnes auxquelles il faut ajouter au moins autant de sympathisants. Un tropisme parisien favorisé par la multitude de bâtiments publics et un vaste réseau de souterrains qui facilite les déplacements discrets.
Spécialistes de l'infiltration
En fait, le phénomène a quelques décennies d'existence, mais il a surtout pris son essor en 2004. Cet été-là, la police met à jour sous la colline de Chaillot à Paris, à 18 mètres de profondeur, une salle de cinéma clandestine de 400 mètres carrés ! L'endroit est composé d'une succession de petites salles aménagées, à quelques mètres sous la Cinémathèque française. Le groupe qui a pris possession des lieux s'est baptisé la Mexicaine de perforation, en référence à un bar où ses membres avaient l'habitude de se retrouver. Il organise en sous-sol un festival de cinéma, Urbex Movie, qui attire à chaque projection 15 à 30 personnes. Lors de sa découverte, largement médiatisée, EDF porta plainte pour vol de courant.
Pour le reste, c'est d'abord la discrétion, voire la paranoïa, qui caractérise les explorateurs. Pas de site Internet ou presque, des activités soigneusement cloisonnées, des modes de communication qui évitent les voies électroniques, des pseudonymes... la nébuleuse reste difficile à percer. À la Préfecture de police comme au parquet de Paris, on rechigne à aborder le sujet. La hiérarchie policière, hantée par les risques de terrorisme, aimerait éviter que des groupes malintentionnés ne s'inspirent des méthodes des explorateurs urbains.
« Ce sont des groupes de 7 à 15 personnes parfaitement intégrées dans la société, avance Lazar Kunstmann. Certains sont infirmiers, d'autres architectes, journalistes ou instituteurs. Dans chaque groupe, il y a un spécialiste des systèmes d'alarme ou de serrurerie. » Lui-même est journaliste.
Ces derniers mois pourtant, la tendance serait plutôt à la spécialisation par groupe. Répondant au nom de « The Mouse House » (La maison de la souris), un collectif de cinq filles, dont une seule majeure, se serait spécialisé dans « l'infiltration » : les adolescentes se font fort de pénétrer partout où règnent alarmes perfectionnées et portes blindées. De quoi affoler les services de sécurité de la capitale. D'autres groupes seraient spécialisés dans les « transmissions », dans la réalisation d'image, dans la serrurerie... La Mexicaine de perforation, elle, a trouvé sa marque de fabrique : « L'exploitation des lieux laissés à l'abandon ou inutilisés. » Le collectif a une nouvelle fois organisé cet été son festival de cinéma dans un lieu tenu secret...
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