La Pologne revit le drame de Katyn
Un film d’Andrzej Wajda ranime le souvenir du massacre d’officiers par les Soviétiques en 1940.
Par Maja Zoltowska
QUOTIDIEN : mardi 18 septembre 2007
Le cinéaste polonais Andrzej Wajda a présenté hier soir son dernier film Katyn, un hommage aux 22 500 officiers polonais - dont faisait partie son père - massacrés par la police secrète soviétique sur ordre de Staline en 1940. Il s’agit d’un des films les plus attendus par la Pologne où le mot «Katyn» fut banni par la propagande communiste pendant plus d’un demi-siècle. Présenté en grande pompe à l’Opéra de Varsovie, le film, qui sera dans les salles polonaises vendredi, constitue en soi un événement national . Andrzej Wajda et le ministère de la Culture ont choisi un jour symbolique pour sa présentation : le 17 septembre 1939, date où l’Armée rouge pénétrait dans l’est de la Pologne, déjà envahie à l’ouest le 1 er septembre par l’Allemagne. Une fois de plus, les deux grands voisins se partageaient le pays.
«Mensonge». Hier matin, le président polonais Lech Kaczynski s’est rendu en Russie pour se recueillir sur les tombes des officiers dans la forêt de Katyn, un petit village près de Smolensk où, en avril 1940, les officiers polonais furent exécutés, un par un, d’une balle dans la nuque par la NKVD. Pour cette première visite en Russie, il ne fera pas le déplacement jusqu’à Moscou et ne participera à aucune rencontre officielle. Ce séjour éclair, non dénué de considérations électoralistes, ne devrait pas améliorer les relations entre Varsovie et Moscou, tendues depuis l’arrivée au pouvoir, en 2005, du président conservateur qui ne cache pas sa méfiance envers la Russie.
Le même soir, aux côtés des proches de victimes, le président polonais a pu imaginer les scènes de leur mort. «Cela a vraiment dû se passer ainsi. J’ai cru assister à l’exécution de mon père», a reconnu la gorge serrée Krystyna Brydowska, fille de Feliks Miszczak, tué à 44 ans à Miednoïé, un autre lieu de massacre des officiers polonais.
Dix-huit ans se sont écoulés depuis la chute du communisme et aucun cinéaste n’avait encore osé adapter à l’écran cette tragédie nationale. «Ce film n’aurait pas pu voir le jour avant, ni dans la Pologne communiste ni en dehors de la Pologne, où il n’y avait pas d’intérêt pour le sujet», a déclaré le cinéaste lors d’une présentation à la presse. Wajda a, malgré la censure, mis en scène de nombreux épisodes de l’histoire de la Pologne du XX e siècle. Dans Kanal , il exaltait le drame de l’Insurrection de Varsovie, dans Cendre et Diamant , la résistance à l’instauration du communisme, dans l’Homme de marbre , les années staliniennes et dans l’Homme de fer la naissance de Solidarité, qui lui aura valu la Palme d’or à Cannes en 1981. Mais faire un film sur Katyn aurait été impossible à l’époque communiste où les Soviétiques étaient présentés uniquement comme des libérateurs : «Sur ce mensonge reposait toute la soumission de la Pologne à Moscou» , a déclaré le cinéaste.
Wajda, qui s’était promis de le réaliser depuis des années, considère ce film comme un devoir national et un devoir envers sa famille : «J’ai compris que je ne pouvais plus attendre, Katyn est sans doute un de mes derniers films sinon le dernier», a déclaré le cinéaste bientôt âgé de 82 ans.
Attente. Sur un scenario écrit d’après le roman Post mortem d’Andrzej Mularczyk, Katyn estdédicacé à ses parents car ce film est aussi l’histoire de sa famille. Son père, Jakub, capitaine au 72e régiment d’infanterie, fut parmi les officiers tués par les Soviétiques dans la forêt de Miednoïé, autre lieu de massacre, dont Katyn est devenu le nom symbolique. Les emprunts à l’histoire familiale sont nombreux. «Ma mère s’est bercée d’illusions jusqu’à sa mort, car le nom de mon père figurait avec un autre prénom sur la liste des officiers massacrés», raconte Wajda. Sa mère, Aniela, porte dans son film le nom d’Anna et Anna aussi espère et une erreur dans le prénom prolonge cet espoir. C’est justement à travers les femmes - les épouses des officiers, leurs mères, sœurs ou filles - et leur attente désespérée que Wajda raconte l’histoire de Katyn.
Les charniers ont été découverts par les troupes allemandes lors de leur avancée en territoire russe après la rupture du pacte germano-soviétique en 1941. Révélé par les nazis en 1943, le massacre de Katyn a toutefois été imputé par la propagande communiste aux troupes allemandes pendant plus de quarante ans .
Le film débute par une scène sur un pont. Deux vagues de civils se croisent : l’une vers l’est fuit la Wermacht, l’autre vers l’ouest l’Armée rouge. Nul ne sait lequel des deux agresseurs sera le moins cruel. Le film se termine par le massacre raconté dans les moindres détails sur un mode documentaire.
On devine le jeune Wajda dans le personnage d’un jeune résistant qui, à la fin de la guerre, vient à Cracovie pour étudier aux Beaux-Arts. Comme le père de Wajda, celui du jeune résistant est mort à Katyn mais il refuse, lui, de le renier dans son curriculum vitae comme beaucoup d’autres l’ont fait pour éviter les ennuis sous l’occupation soviétique. Le jeune homme meurt. «Un remords de conscience?», s’est interrogé un spectateur lors d’une avant-première : «Avec Katyn, vous laissez entendre que si vous n’aviez pas menti sur la mort de votre père, vous n’auriez pas pu étudier aux Beaux-Arts, à l’école de cinéma et que l’école polonaise du film n’aurait jamais vu le jour ?» Le cinéaste n’a eu d’autre réponse : «Je confesserai mes propres péchés devant un autre auditoire et ce sera certainement dans peu de temps.»Et de conclure : «Chacun militait à sa manière contre ce régime.»
Enquête. Car le film parle aussi du mensonge qui a entouré Katyn et des diverses attitudes face à ce massacre. En Pologne, pratiquement jusqu’à la chute du communisme au début des années 90, il était interdit de parler de cet événement. La censure rayait ce nom de tous les livres. Etre parent d’une victime de Katyn pouvait entraîner une interdiction d’étudier, et briser une carrière professionnelle.
Il faudra attendre avril 1990 pour que le dernier président soviétique Mikhaïl Gorbatchev reconnaisse la responsabilité de l’URSS en transmettant au président polonais d’alors, le général Jaruzelski, des copies des listes des victimes, promettant une enquête. Durant la Guerre froide, l’Occident s’est tu pour ne pas envenimer ses relations avec l’URSS. Le crime est resté impuni.
En 2004, après quatorze années d’enquête, le parquet militaire russe a classé le dossier de Katyn, refusant de qualifier ces exécutions de crime de guerre ou de crime contre l’Humanité. Selon le parquet, il s’agissait d’un crime de droit commun, donc déjà prescrit. La justice russe a aussi refusé de transmettre les documents en sa possession à la Pologne qui, de son côté, poursuit toujours sa propre enquête. Varsovie recherche encore les tombes et les listes des disparus. Des traces mènent à Bykovnia, près de Kiev. Les restes d’un officier polonais viennent d’y être identifiés. En attendant, les proches des victimes attendent que la Cour des droits de l’homme à Strasbourg se penche sur leur plainte déposée contre la Russie.
Les autres massacres
Katyn a été par son ampleur le crime le plus révélateur, mais dans tous les pays occupés par les Soviétiques en 39-41 ce genre de tuerie a eu lieu comme en Lettonie où une grande partie des officiers lettons qui avaient été "incorporés" dans une division de l'armée rouge ont été massacré à Litene.
Mardi 18 Septembre 2007 - 16:39
Nuit et brouillard
On parle de Katyn mais on sait moins que des milliers d'autres officiers polonais ont pris le chemin du goulag, où ils ont disparu corps et biens sans que Staline accepte de donner de leurs nouvelles aux résistants polonais réfugiés à Londres. Katyn est un crime raciste à l'envers, étant donné que le corps des officiers polonais était largement antisémite et que les exécuteurs du NKVD étaient presque tous d'origine juive. Katyn est aussi un crime politique, les soviétiques se vengeaient de l'armée polonaise qui lui avait barré en 1920 la route par anticommunisme, faisant tomber à l'eau le beau rêve de Lénine de d'exporter la révolution en Allemagne
Mardi 18 Septembre 2007 - 15:29
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