dimanche 18 novembre 2007

L'honneur meurtri de Magdalena Kopp, l'ex-compagne de Carlos


(De Berlin) Magdalena Kopp a vécu treize ans aux côtés d'Illich Ramirez Sanchez, plus connu sous le nom de Carlos le Chacal. Terroriste recherché par toutes les polices du monde dans les années 70-80, elle l'a suivie à Bagdad puis à Damas. Prise dans un terrible engrenage, elle va participer à ses campagnes de terreur puis faire de la prison. Elle a raconté son histoire dans un ouvrage percutant paru cet été en Allemagne.

Un quotidien a rapporté que de sa plus belle plume, Carlos a écrit en espagnol une carte à sa fille Rosa pour ses vingt-et-un ans: "A bientôt, mon amour", pouvait-on y lire. Sa mère, Magdalena Kopp, n'a pas pu s'empêcher de sourire à l'idée que celui-ci puisse sembler encore croire à sa libération prochaine. "Il vit toujours dans son monde. Quelqu'un devrait pourtant lui dire la vérité", a-t-elle dit au cours de cet entretien. Depuis 1994, Carlos est condamné et emprisonné en France. En janvier prochain aura lieu un nouveau procès. Il devra y répondre de 83 meurtres.

"Je voulais me distinguer des petit-bourgeois"

Magdalena Kopp a passé treize années auprès de ce meurtrier si attentionné lors des anniversaires. Aujourd'hui, proche de la soixantaine, et comme pour en finir avec sa culpabilité, elle a ressenti le besoin impérieux d'examiner en détail cette période où, d'une douce jeune fille originaire de Neu-Ulm en pays souabe, elle va devenir l'assistante et l'épouse du terroriste Carlos. Elle a intitulé son livre "Les Années de terreur", renvoyant le lecteur à la fois au terrorisme pratiqué par son sanguinaire conjoint, mais aussi à ce qu'elle éprouvait alors quotidiennement.

De ses parents, un fonctionnaire des postes et une serveuse, Magdalena Kopp dit qu'ils étaient "foncièrement conservateurs, votant systématiquement pour la CSU", le parti chrétien démocrate. Son père était un ancien nazi. Mais en ces temps de mobilisation contre la guerre du Vietnam, la jeune Kopp ne comprend pas l'absence de dialogue avec ses parents et, en 1967, elle décide de partir à Berlin-Ouest pour devenir photographe.

De là, elle migre à Francfort où elle va trouver à s'employer dans la maison d'édition Roter Stern ("étoile rouge"). Ses premiers contacts avec les cellules révolutionnaires datent de cette époque. "Je voulais me distinguer des petit-bourgeois", écrit-elle en expliquant comment elle s'est peu à peu impliquée dans la mouvance radicale tout en s'y constituant un réseau d'amis.

Totalement immergée dans ce microcosme de haine et de destruction, elle dit l'avoir choisi comme étant "sa voie politique pour entrer dans l'action". Formulation indirecte qui lui permet d'éviter le mot "attentat". "Nous étions naïfs. Nous ne voulions provoquer que des dégâts matériels. C'est une chance qu'il n'y ait pas eu de morts."

En 1976, Carlos devient son instructeur dans un camp d'entraînement palestinien.

Jusqu'en 1992, date de dissolution du groupe, quelque 180 attentats sont à mettre sur le compte de ces cellules clandestines. Elle connaît ce chiffre mais elle avoue n'avoir "aucune sympathie pour la violence": "Je ne peux toujours pas m'expliquer dans quelle spirale je m'étais embarquée." Elle ne trouve que la solidarité envers ses compagnons pour motiver sa participation à ces "actions".

Ilich Ramirez Sanchez, alias Carlos (DR).A la même époque, Carlos débutait sa carrière. S'autoproclamant révolutionnaire et membre du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), Carlos gagnera ses galons pour figurer au panthéon des terroristes mythiques en décembre 1975 lors de la prise d'otages des ministres du pétrole participant à une conférence de l'OPEC à Vienne.

En dépit des victimes occasionnés par cette spectaculaire opération, certains des influents personnages libérés peu après feront l'éloge de Carlos, le décrivant comme un personnage aimable et ouvert. Signes avant-coureur de son utilité future? Quelques mois plus tard, ce gentil jeune homme est devenu l'instructeur de Magdalena Kopp dans un camp d'entraînement palestinien au Yémen.

Ces deux-là, ainsi que d'autres membres des cellules révolutionnaires sensibles aux luttes de libérations nationales, y avaient été invités. Deux ans plus tard, elle l'accompagne à Bagdad. Il lui disait que désormais elle faisait partie de la révolution mondiale et il la berçait de compliments.

"Ce qui est fou, c'est qu'il pouvait être très charmant"

"Je suis une personne qui se laisse facilement influencer", reconnaît rétrospectivement Magdalena Kopp pour expliquer comment elle s'est laissée séduire par Carlos. "Ce qui est fou, c'est qu'il pouvait être très charmant", écrit-elle. Charmant et odieux. Elle confiera plus tard que Carlos lui avait offert un gâteau d'anniversaire où il était écrit: "A ma vache." Elle dit qu'aujourd'hui, elle la lui aurait jeté à la figure. Mais à l'époque, elle n'en a rien fait.

C'est ainsi qu'ils sont devenus un couple où la tendresse avait peu de place. Elle raconte: "Carlos m'a simplement prise. Il mettait son pistolet sur la table de nuit et il dormait avec moi. L'acte sexuel était sans émotion. Presque un viol."

Elle va prendre des pseudonymes, coopérer avec le cercle rapproché de Carlos, falsifier des passeports, entretenir les contacts avec les informateurs, les diplomates, les services secrets, la Stasi, l'IRA, l'ETA ... et gérer l'argent liquide versé tantôt par les services irakiens (200 000 dollars), tantôt par les services libyens.

Désormais, celui qu'on va appeler le Chacal planifie la terreur. "Il n'y a pas eu d'ordre du jour politique, pas de manifeste, pas de sigle", écrit Magdalena Kopp. En 1982, il envoie son amie en France pour préparer un attentat à Paris. Le plan échoue et elle est condamnée à quatre ans de prison. Durant cette période, Carlos commet huit attentats pour contraindre les autorités françaises à la relâcher. A cause d'elle, vingt personnes vont périr en France, à Beyrouth et à Berlin Ouest.

"J'ai alors vécu dans un autre monde. Un monde régit par les lois de Carlos.

Recluse dans sa prison, elle n'en saura rien. En 1985, Magdalena Kopp est libérée. Elle retourne alors à Damas auprès de Carlos, comme il le lui avait ordonné au téléphone, la considèrant comme sa chose. "A ce moment-là, j'aurais peut-être pu disparaître." Mais comment, se demande-t-elle dans son repentir? Elle est convaincue qu'il l'aurait recherchée. "J'ai alors vécu dans un autre monde. Un monde régit par les lois de Carlos." Mais Carlos n'a plus aucun lien avec aucune organisation. Les services secrets de l'Ouest le traquent et les pays de l'Est ont rompu leurs relations avec lui.

A Damas, Magdalena Kopp aspire à une vie de famille. Son désir est vite exaucé et Rosa vient au monde en 1986. Entre temps, Carlos était devenu le danger public international numéro un et une véritable menace pour ses proches. Carlos tente même d'étrangler Magdalena.

Puis, lors d'une visite d'un de leurs compagnons de route, Carlos profite qu'il ait le dos tourné dans la cuisine pour l'abattre d'une balle dans la tête, car il le soupçonne d'être un agent du Hezbollah. Il passera le reste de la soirée à tenter de consoler sa femme encore sous le choc de son geste criminel. Dans son livre elle écrit: "Parfois j'ai pensé qu'il aurait pu supprimer notre enfant."

En 1991, Carlos se rend au Liban où il officialise son mariage avec Magdalena Kopp et déclare la naissance de leur fille Rosa. Démarches prémonitoires: le filet policier se resserre autour du terroriste. Le monde arabe qui ne veut plus rien à voir avec lui le rejette.

En 1992 et après bien des détours d'un pays du Moyen Orient à l'autre, Magdalena Kopp et sa fille arrivent au Venezuela. Pendant trois ans et grâce à des papiers trafiqués, mère et fille vont vivre dans la famille de Carlos sans être importunées. Carlos est parti au Soudan. Il y sera arrêté et extradé en France en 1994.

"C'est à ce moment-là que j'ai commencé à penser de façon indépendante"

C'est alors que les autorités allemandes commencent à s'intéresser à Magdalena Kopp. Elle préfère se montrer coopérative et accepte de rencontrer un fonctionnaire de la police criminelle allemande venu la voir au Venezuela. De sa prison française, Carlos tente à nouveau de lui donner des ordres. "C'est à ce moment-là que j'ai commencé à penser de façon indépendante", écrit-elle.

Du jour au lendemain, elle cessa de lui obéir et elle le lui fait savoir dans les lettres qu'elle lui expédie dans sa prison. Il ne la croit pas et pense qu'on lui a dicté ses messages. "Ce n'est pas toi", lui répond-il. En 1995, peu avant Noël, elle est autorisée à revenir avec sa fille en Allemagne. Elle s'installe à Neu-Ulm où elle vit encore aujourd'hui. Depuis son retour, elle a cherché à s'établir dans un métier solide. Elle n'y est jamais véritablement parvenue.

C'est en mettant à jour son journal intime que l'idée lui est venue de revenir sur son passé. Peu lui importe que Carlos sache qu'elle a écrit un livre. "Je n'ai tué personne", écrit-elle pour soulager sa peine. Elle sait que Carlos ne peut pas en dire autant:

"Il est paranoïaque et narcissique. Je n'arrive pas à me pardonner d'avoir vécu avec Carlos. Je voudrais tant n'avoir jamais été avec un homme aussi brutal. Il n'apportait rien. Il n'écoutait personne."

Au revers de la carte que Carlos a envoyé à sa fille, il est inscrit: "Palestine - We want our homeland" ("Palestine - Nous voulons notre terre").

Die Terrorjahre. Mein Leben an der Seite von Carlos Deutsche Verlags-Anstalt - 320p., 19,95€.

http://www.rue89.com/2007/11/18/lhonneur-meurtri-de-magdalena-kopp-lex-compagne-de-carlos


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