Voilà une histoire malheureuse qui fait partie des aléas du capitalisme sauvage à la chinoise: des dizaines de milliers de Chinois se sont saignés pour élever des fourmis afin de produire un aphrodisiaque qui devait les enrichir. Jusqu'à ce que tout s'écroûle et les laisse sans le sou.
Depuis plusieurs jours, la région de Shenyang, la grande métropole du nord-est de la Chine, est en effervescence en raison des protestations de ces milliers de paysans pauvres qui se sont endettés jusqu'au cou pour acheter du matériel d'élevage de fourmis, et qui sont furieux de s'être fait escroquer. Leur cible: la société Yilishen, à l'origine de l'arnaque, et qui vendait pour 10000 yuans (1000 euros), une fortune pour des paysans, le matériel d'élevage de fourmis qui devait leur permettre de s'enrichir à la revente. Yilishen devait les leur racheter pour produire un elixir aphrodisiaque, supposé plus performant que le viagra!
Une fois de plus, ces événements ont été connus grâce aux blogueurs chinois, qui ont posté les informations, les photos des manifs (ci-dessus celles de mercredi) et les vidéos dont certaines, selon Global Voices Online qui suit la vie des blogs, ont été aussitôt retirées. La presse officielle s'est ainsi abstenue de parler de la manifestation de 10000 personnes, mercredi, devant le Comité provincial du Parti communiste chinois à Shenyang, abondamment relayée sur les blogs.
Cette affaire serait banale si ce n'était son ampleur, affectant des dizaines de milliers de personnes qui ont cru dans le rêve d'enrichissement à base de fourmi que leur vendait le charismatique Wang Fengyou, le PDG de la société Yilishen, avec son slogan "Ant Power" (voir le logo ci-dessus), le "pouvoir des fourmis"...
C'est également embarrassant pour les autorités chinoises, qui ont laissé faire, et même selon certains blogueurs, encouragé, alors que les avis défavorables existaient depuis longtemps. La Food and Drugs Administration (FDA) américaine avait ainsi publié en 2004 une mise en garde contre les produits aphrodisiaques de la société Yilishen, et contre le risque d'effets secondaires. Son équivalent chinois n'a pas eu la même vigilance. Aujourd'hui, la société Yilishen est en faillitte, ayant accumulé les dettes. Elle est incapable de continuer à acheter les fourmis des paysans-éleveurs, qui se retrouvent donc avec une production devenue inutile. Il y a quelques mois, pourtant, elle se préparait à une introduction en Bourse destinée à lever 1,4 milliard de Yuans (140 millions d'euros)... Un blogueur chinois cité par Global Voices résume ainsi la situation:
"Beaucoup de gens se plaignent, mais, dans votre ignorance, vous vous êtes infligé tout ça vous-mêmes". Bien sûr, le gouvernement et les médias ont leur part de responsabilité également, mais que pouvez leur faire? C'est seulement en développant votre conscience que vous pourrez cesser de vous faire avoir. Yilishen savait qu'il voulait maintenir en l'état les sentiments du peuple, lui faire croire que rien ne changeait à Yilishen, que tout ça pourrait continuer à long terme. Mais les gens n'ont pas du faire leurs calculs: il aurait fallu que la société ait une croissance exponentielle pour réussir, et ce n'était pas réalisable. Aujourd'hui, tout ça est arrivé à son terme. Je prie pour ceux qui se sont fait avoir".
On retrouve dans cette affaire à la fois le rêve d'enrichissement de nombreux Chinois, les pratiques douteuses de bon nombre d'entrepreneurs, le laisser-faire officiel, mais aussi les fantasmes générés par une médecine naturelle à vocation aphrodisiaque... Le tout dans une région socialement sinistrée. Un cocktail explosif.
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