LA POLOGNE
LA GUERRE POLONO-BOLCHEVIQUE, LA BATAILLE DE LA VISTULE (1920),ET «L’INSURRECTION » DE VARSOVIE (1944):DEUX BATAILLES DE VARSOVIE AUX CONSEQUENCES CAPITALES POUR L’EUROPE.
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(Ceci est le texte d’une conférence prononcée le 29 novembre 2005 à la Société Historique et Littéraire Polonaise de Paris, lors de la réunion traditionnelle commémorant l’Insurrection polonaise de Novembre 1830, et inaugurant solennellement l’auditorium Jean Paul II à la Bibliothèque Polonaise du Quai d’Orléans à Paris.
Ce texte a été développé, pour prendre la forme d’un cours donné à l’Université d’Orléans le 15 mars 2006)
PAR ALEXANDRA VIATTEAU
La victoire de Varsovie sur le bolchevisme de Moscou en été 1920 fut une victoire nécessaire, décisive et bienfaisante pour la liberté de l'Europe démocratique.
La défaite de Varsovie dans sa bataille contre le nazisme de Berlin en été 1944 marqua une tragédie pour la Pologne, mais seulement un retard dans la libération de l'Europe. En 1944, l'Europe occidentale, elle même encore dans les affres de la guerre, resta indifférente à un événement géographiquement éloigné, qu'elle connaissait peu, comprenait mal, et qu'embrouillait encore une propagande soviétique mensongère forte de la puissance communiste et de la popularité stalinienne.
Pourtant, entre les deux batailles de Varsovie, celle de la Vistule et l’Insurrection, il y a des similitudes. C'est, d'une part, l'importance capitale de la situation politique, idéologique et diplomatique internationale, qui dominait les opérations militaires. D'autre part, c'est la volonté – qui apparaît visiblement ou en filigrane dans les archives concernant la France et l'Angleterre – d'encourager l'action militaire polonaise protectrice de nos territoires et intérêts, tout en paralysant son action politique autonome à l'Est et face à la Russie soviétique. (Cf. Archives du Quai d’Orsay de 1944 in Alexandra Viatteau, « Staline assassine la Pologne, 1939-1947 », éd. du Seuil, Paris, 1999 ; A. Viatteau, « L’apport de la Pologne aux vingt ans de paix entre les deux guerres (1919-1939) » in « Les sociétés, la guerre et la paix de 1911 à 1946 », dir. Gérard Berger, éd. Ellipses, Paris, 2003).
En 1920, Pilsudski a bousculé et franchi les obstacles politiques à la victoire polonaise, car son action militaire était indispensable à la sécurité de l’Europe occidentale, menacée par la volonté d’expansion de la Révolution russe, et par le revanchisme allemand.
Pareille action périlleuse et héroïque fut recommencée pendant la bataille de l’Insurrection de Varsovie en été 1944. Cependant, en 1944, l'Armée de l'Intérieur de la Résistance polonaise et ses chefs échouèrent dans les filets politiques et idéologiques des Alliés soviétiques. La bataille de Varsovie, qui aurait pu, sans aucun doute, ainsi qu’en ont témoigné les généraux de la Wehrmacht, être matériellement une victoire militaire commune polono-russe sur le nazisme, fut perdue par les Polonais, mais au profit de Staline.
En 1920, la situation était complexe. Pilsudski, tout en combattant les agresseurs bolcheviques, ne tenait pas à appuyer activement les armées russes blanches, dont les chefs tsaristes ne reconnaissaient pas l’indépendance reconquise en 1918 de la Pologne. En cela, Pilsudski provoqua une certaine irritation de la France, très attachée à la Russie. L’historien français Henri Grappin écrivait alors à propos de la ligne politique de Paris qui avait précédé le recouvrement de l’indépendance par l’Etat polonais : « En acceptant que la Pologne soit une affaire intérieure de la Russie, la France affaiblissait la configuration de l’Europe contemporaine ». (Cf. Henri Grappin, « Histoire de la Pologne des origines à 1922 », éd. Larousse, Paris, 1922).
L'Angleterre, pour sa part, jouait un double ou même quintuple jeu entre la Pologne, la Russie rouge et la Russie blanche, l'Ukraine et l'Allemagne, tous ces pays où l’empire britannique voulait étendre ses influences. La France et l’Angleterre avaient, à la fois, une vision politique d'avenir, pleine de justesse, d'une alliance des démocrates anti-bolcheviques russes avec une Pologne qui revenait dans le jeu des puissances européennes. Mais, les deux puissances occidentales ne perdaient pas, non plus, de vue leurs propres intérêts politiques et économiques à concilier avec leurs alliances et d’autres influences européennes à l'Est. Les Russes eux-mêmes, en Russie et en émigration, à Londres et à Paris, mais aussi à Varsovie, avaient des intérêts divergents et des alliances complexes.
Certains intellectuels russes démocrates – et socio-révolutionnaires de Février 1917, qui avaient fui la Russie après le coup d’Etat bolchevique d’Octobre – étaient proches de Pilsudski et de certains milieux intellectuels polonais, par exemple de Maria et Jozef Czapski. Ils faisaient appel à la Pologne, tout comme à la France, pour délivrer leur pays du bolchevisme de Lénine et de Trotsky. Le philosophe russe Dimitri Merejkovsky voyait dans les Polonais de « nouveaux Varègues », qui devaient vaincre les bolcheviques dévastateurs et aider à remettre la Russie sur les rails de la culture européenne. « Si la Pologne ne fait pas cela et ne remplit pas cette mission historique, disait à cette époque Merejkovsky à Varsovie, ce que racontait dans ses mémoires Maria Czapska, l’occasion ne se représentera plus, et la Russie tombera dans l’étreinte allemande, puis, avec l’Allemagne, elle étouffera la Pologne ». Vision stratégique et politique très juste de la part d’un philosophe.
On connaît peu cet aspect de la Pologne, qui devient le refuge occidental de réfugiés russes blancs, démocrates et socio-révolutionnaires, et la potentielle libératrice de la Russie avec l’Entente européenne. L’Entente, qui regroupait avant la Révolution d’Octobre 1917 la France, l’Angleterre et la Russie – au détriment de la Pologne, dont les partages étaient agréés par l’Europe : « péché mortel de l’Europe », selon le mot de Talleyrand.
La Russie bolchevique, quant à elle, avait un projet d’expansion en Europe dont l'Allemagne était le pivot. Pour Lénine et Trotsky, il était nécessaire d'abolir les barrières en Europe. Notamment les nouvelles barrières nationales qui avaient succédé au champ ouvert des empires – en balayant ceux-ci, mais en cloisonnant le terrain d'action révolutionnaire, qu’il fallait donc à nouveau ouvrir aux vents de la révolution. La jonction russo-allemande était compromise par le retour sur la carte de l'Etat Polonais, décidé à défendre sa démocratie et son indépendance nationale devant l’assaut du nouvel impérialisme rouge de Moscou et de la dictature communiste des Soviets.
Pour Lénine et Trotsky, la Pologne, "rempart" de l'Europe, devait être prise pour pénétrer l'Occident et pour le "fédérer" en le soviétisant dans une "Union prolétarienne" communiste. C'est alors, dès novembre 1918, que Trotsky déclencha le véritable commencement de la guerre polono-bolchevique. Les visées agressives de Moscou avaient un objectif, précisé le 30 octobre 1918 par Trotsky: "La Lettonie libre, la Pologne et la Lituanie libres, la Finlande libre et l'Ukraine libre seront le lien étroitement serré entre la Russie Soviétique et les futures Allemagne et Autriche-Hongrie Soviétiques. Ce sera une fédération européenne communiste – une Union des Républiques prolétariennes d'Europe". L’adjectif « libre » voulait dire que ces pays seraient « libérés de la bourgeoisie » par le communisme bolchevique. L'objectif fut répété par Trotsky le 10 mai 1920, alors que le maréchal bolchevique et nationaliste russe, Mikhail Toukhatchevsky, prononçait alors ce mot terrible: "Dans l'Ouest se joue la destinée de la Révolution universelle et la route de l'incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne".
Marx lui-même, Européen occidental, avait redouté dans son œuvre "le rajeunissement de l'Europe par le knout révolutionnaire russe", mais l'Allemagne, dans son arrogance, croyait toujours pouvoir diriger la Russie, même celle des Soviets, ainsi que l'Ukraine et les Pays Baltes. A condition, pour l'Allemagne aussi, de neutraliser l'influence polonaise dans ses territoires orientaux ancestraux retrouvés, et de neutraliser la Pologne tout entière de préférence.
Les influences polonaises à l'Est portaient aussi, en partie, ombrage à la France et à l'Angleterre. C'est l'une des raisons du soutien politique mitigé de ces deux puissances occidentales à la Pologne en 1919-1920, alors qu’elles appréciaient, par contre, l'intangible fidélité polonaise dans la défense militaire de l'Europe. La grande idée de Pilsudski de fédérer avec la Pologne, sous son autorité et celle de l’Entente occidentale, les pays aux confins européens orientaux frontaliers de la Russie était en principe appuyée par la France. Mais, il faudrait peut-être examiner plus à fond les intentions et les inquiétudes réelles de Paris face à une Pologne qui était en passe de redevenir, certes sous les auspices de l'Entente, mais tout de même à son propre profit, le refuge occidental des démocrates russes et une puissance fédératrice des Marches orientales de l'Europe.
En 1919-1920, la France et l'Angleterre, soudain menacées directement par le bolchevisme moscovite, décidèrent de soutenir la Pologne, car la soviétisation de l'Europe était un danger réel pour la démocratie et pour les intérêts de tous nos pays. Evidemment, la manière dont le soutien à la Pologne était proposé, était équivoque. Dans une lettre à Pilsudski, Boris Savinkov, Russe proche d’Alexandre Kerensky (dirigeant de la Révolution de Février et protégé de l'Entente) présenta la position anglaise: "Churchill m'a dit que (...) le Gouvernement britannique restera neutre et refusera toute aide aux Polonais si les bolcheviques ne remportent pas de succès. Si, par contre, les bolcheviques remportent des succès, alors, à son avis, la Grande Bretagne ne permettra pas que la Pologne soit écrasée..." (Cf. Archives polonaises, éditées par Janusz Cisek, "Sasiedzi i wojna 1920 roku", éd. Polska Fundacja Kulturalna, Londres, 1990, dos. V, doc. 3).
La position du Président Millerand à Paris était semblable. En tous cas, à Londres ou à Paris, on ne voulait surtout pas que la Pologne fasse une paix séparée avec les bolcheviques, car elle protégeait l’Europe occidentale aux avant-postes. L’action armée polonaise continue, c'était la condition de l'appui franco-anglais, à ce moment-là. Car, après la victoire polonaise de la bataille de la Vistule en août 1920, les prises de position changeront quelque peu au détriment de la Pologne victorieuse, qui ne devait pas tirer trop d’avantage de sa victoire.
Donc, depuis novembre 1918, des opérations opposant Polonais et bolcheviques étaient engagées, avec des victoires et des défaites des deux côtés. Lénine et Trotsky décidèrent d'ébranler une offensive générale progressive en mars 1920. L'invasion bolchevique de la Pologne seule n'aurait peut-être pas autant effrayé nos chancelleries que la perspective d'une unification communiste de l'Europe par la jonction germano-soviétique révolutionnaire rouge. C'est cela que la Pologne devait combattre en première ligne. Paris et Londres étaient clairs: la Pologne ne devait pas combattre par pure autodéfense, pour défendre ses citoyens contre la barbarie révolutionnaire des Soviets et les massacres de leur Tchéka ; encore moins pour ses terres à reprendre à la Russie (notons que la juste indépendance actuelle de ces pays était à l’époque impensable pour toutes les puissances européennes).
La Pologne devait simplement combattre contre l'expansion du bolchevisme en Europe. Si elle protégeait l'Europe, l'Entente, en échange, "ne l'abandonnerait pas", à condition, bien entendu, que la Pologne ne prenne pas trop avantage sur la Russie. Pilsudski avait bien compris le message, qui ne lui parut pas satisfaisant pour la sécurité et les intérêts de son pays. Il a donc livré bataille à sa manière: sur la Vistule, devant Varsovie assiégée et en péril, en août 1920, puis, en poursuivant l'ennemi, sur le Niemen, en septembre 1920. Enfin, en arrêtant la guerre et en signant la paix avec les bolcheviques par le Traité de Riga en mars 1921, quand l'Entente voulait qu'il combatte encore. La Pologne avait une certaine marge politique de manœuvre en 1920-1921, car elle était en première ligne, mais elle n'était pas la seule menacée.
En 1944, la situation était très différente. On était encore loin de la Guerre froide que l’occupation et l’oppression soviétique dans son « camp », au nom bien porté, ainsi que la construction du Mur de Berlin, avaient déclenchée contre le communisme. En 1944, les Alliés anglo-américains et français (pour des raisons différentes) étaient en bonne partie soviétophiles, voire stalinomaniaques. Ils n'avaient ni envie, ni besoin, croyaient-ils, que la Pologne endigue un déferlement ou une avance communistes, identifiées par la puissante propagande soviétique, et par ses caisses de résonance, non seulement à l'antifascisme et à l'antinazisme, mais aussi à la "démocratie" et au « progressisme ». D'autre part, en 1944, il n'était pas question, en apparence, de jonction révolutionnaire entre une URSS rouge et une Allemagne rouge. Ces choses-là semblaient appartenir au passé. La RDA (Allemagne de l’Est) d’au-delà du Mur de Berlin n’apparaîtra que plus tard comme un allié particulièrement dur et agressif de l’URSS dans la lutte pour l’expansion mondiale du communisme soviétique.
En prenant de la distance, on s'aperçoit qu'en été 1944, la bataille a opposé, à Varsovie, la Résistance polonaise de l'Armée de l'Intérieur (AK) aux armées nazies, mais que, sur ordre de Staline, les armées soviétiques, en s'immobilisant au lieu d’avancer, comme cela était convenu, aidèrent Hitler passivement (ou activement par leur passivité).
En 1920, par contre, le combat avait opposé les armées polonaises aux armées bolcheviques, et ce furent les Allemands qui aidèrent activement les Russes dès février 1920, ce qui menaçait aussi la France. Un accord secret entre le gouvernement bolchevique et les « nationaux-bolcheviques » allemands était arrangé par le camarade Karol Radek. (Cf. dossier IX, doc. 9 in Janusz Cisek, op.cit.).
Le 29 mars 1920, le général anglais Spears et le général français Henrys informent Pilsudski, par l'intermédiaire de Savinkov, que les Allemands concentrent leurs troupes en Prusse Orientale pour envahir la Pologne au moment adéquat. L'information est confirmée de Riga, de source suédoise, et de Berne, par le Renseignement, puis communiquée le 22 avril 1920 au Commandement suprême de l'Armée polonaise par le ministère des Affaires étrangères à Varsovie: "Les Allemands doivent intervenir contre la Pologne à la frontière occidentale pour retirer les forces polonaises du front oriental. Les Allemands doivent s'occuper de l'organisation de l'armée bolchevique. En cas de victoire de celle-ci, les Allemands doivent recevoir des terres russes à coloniser...". (Cf. Archives polonaises, notamment du ministère des Affaires étrangères et du 2ème Bureau, éditées par Janusz Cisek, op. cit., dos. IX, doc. 4).
Le 4 juin 1920, Le Chef de l’Etat polonais reçoit un rapport d'une précision remarquable sur les contacts qui se resserrent entre armées bolcheviques et allemandes. (Cf. ibidem, dos. IX, doc. 1). Il y a 6000 officiers allemands et 4 divisions purement allemandes qui luttent avec les armées bolcheviques contre la Pologne en 1920.
« Marche à l’Ouest ! » : l’offensive bolchevique finale est lancée un mois plus tard. Le 4 juillet 1920, avec 5,5 millions de soldats bolcheviques mobilisés, 3000 canons, 250 trains blindés, les 4 armées du front nord-ouest de Toukhatchevsky commencent à foncer, à 30 kilomètres par jour, contre l’armée de 700 000 défenseurs polonais. La veille, le 3 juillet 1920, le commandant en chef polonais, Jozef Pilsudski, a lancé un appel à la levée populaire de tous les volontaires pour défendre la patrie en danger. Un mois plus tard, au début d’août 1920, Pilsudski note : « Je ressentais la pression de mon environnement militaire pour que je donne de nouvelles dispositions, car notre capitale, Varsovie, était menacée ».
Toukhatchevsky, de son côté, est persuadé que l’armée polonaise est complètement démoralisée, et que les soldats, ainsi que leurs officiers, ne croient pas avoir de chances de victoire. Isaac Babel, l’écrivain soviétique, future victime des purges staliniennes, mais à l’époque soldat de la Ière armée à cheval bolchevique, qui envahit la Pologne, écrira dans son ouvrage « Konarmia » (La Cavalerie rouge) qu’il est mortellement triste car : « nous réduisons tout en ruine, nous avançons comme une tornade, comme une lave, haïs de tous ». Jozef Unschlicht, un des membres du parti communiste polonais, dont les dirigeants attendent impatiemment l’arrivée des troupes bolcheviques (au demeurant chez un curé de campagne, qui ne sait pas qui sont ces gens, comme le raconte l’écrivain polonais Stefan Zeromski !) pour former un gouvernement soviétique à Varsovie, déclare alors que : « la prise de Varsovie n’est pas le but ; c’est le commencement de la Révolution européenne ».
Le 28 juillet 1920, le 2ème Bureau polonais informe Varsovie que:
"(...) Gurtych a remis le 22 juillet à Kopp les documents autorisant Kopp à conclure un PACTE MILITARO-POLITIQUE entre les Soviets et l'Allemagne... Le 23 juillet, une commission militaire soviétique avec le général Parski, chargé de directives d'ordre opérationnel et diplomatique, a quitté Moscou, via Revel, pour Berlin..." (Cf. ibidem, dos. IX, doc. 7).
"Au dernier moment, notre agent de Krolewiec (Koenigsberg, aujourd'hui Kaliningrad – AV) rapporte que le 27 juillet a eu lieu une réunion secrète de tous les commandants et officiers du Wehrkreiskommando I. Il a été décidé que, lorsque les bolcheviques franchiraient la frontière de la Prusse Orientale, les Allemands feraient semblant de s'y opposer, mais qu'ils les laisseraient passer, afin que les armées bolcheviques puissent prendre le chemin le plus court pour occuper Varsovie. La réunion était dirigée par le général von Dassel". (Cf. ibidem, dos. IX, doc. 9).
Alors, à la veille de la bataille de la Vistule d’août 1920, Boris Savinkov fait parvenir à Pilsudski le cri d'alarme français de Paris: "Sommes-nous au bord du bolchevisme paneuropéen?". Les Polonais auront-ils la force de contenir par les armes l'attaque puissante du national-bolchevisme russo-germanique? La France commençait à s'en inquiéter mortellement, car ce qui se passait sur la Vistule se manifestait soudain bruyamment sur le Rhin. Le numéro 24 de 1920 du « Bulletin de l'Armée du Rhin » publia une revue de la presse allemande qui stupéfia Paris, sans étonner Varsovie:
(...) La « Germania » nous décrit ainsi une fête: "Les habitants de Soldau ont salué les guerriers rouges avec une bruyante jubilation. Ils ont paré leurs maisons du vieux drapeau allemand. Les fanfares russes ont fait leur entrée dans la ville au son des marches militaires prussiennes. Les Allemands de l'Est (il ne s'agit pas encore de la RDA! – AV) voient dans les troupes rouges, non les représentants d'un système gouvernemental condamnable, mais les adversaires vainqueurs des Polonais"... "De nombreux réactionnaires allemands pensent déjà à une fraternisation avec le bolchevisme, écrit le « Berliner Tageblatt » (...) On pense alors marcher la main dans la main avec les bolchevistes pour bouter les Français hors de l'Empire aux sons alternés de l'Internationale et des marches militaires prussiennes"...
Ce qui est extraordinaire, c'est que la presse allemande annonça alors, en août 1920 la prise de Varsovie par les armées bolcheviques avec le même enthousiasme que le ministre soviétique des Affaires étrangères de Staline, Molotov, mettra en septembre 1939 à féliciter Hitler pour la prise de Varsovie par les armées nazies! A cela près, qu'en 1939, Varsovie n'avait pas encore été prise, et qu'en 1920, elle ne fut pas prise du tout. Au contraire, les armées polonaises infligèrent une terrible défaite aux armées de Lénine. La guerre polono-bolchevique fut la seule guerre perdue par les Soviétiques, avant celle d’Afghanistan.
Revenons à la revue de la presse allemande par le « Bulletin français de l'Armée du Rhin »: "APRES LA PRISE DE VARSOVIE. (!!!) La joie des nationalistes d'Allemagne devint du délire lorsque la presse annonça cette chute. Un des morceaux des plus savoureux nous fut donné par la « Hessischer Volksfreund »: "A Varsovie, le drapeau bolcheviste flotte; c'est la victoire de l'esprit de réconciliation des peuples sur l'esprit de discorde". Comme quoi la « paix » et la « réconciliation », dans la propagande des forces agressives, sont souvent des termes faisant l’apologie de la guerre et de l’agression.
Enfin, le comte Rewentlow dans la « Deutsche Tages Zeitung »: "Pas de passivité! Quoi qu'il arrive nous ne devons pas par crainte de l'Entente nous abstenir de soutenir la politique russe à l'égard de la Pologne. Il nous faut lui accorder notre participation tangible et active."
Ce "Quoi qu'il arrive", arriva une fois de plus à Varsovie en 1944, mais dans le sens inverse. Cette "participation tangible" fut accordée par Staline à Hitler, devant Varsovie, une fois de plus. Cette fois aussi l’enjeu était énorme, car se jouaient à la fois le sort de la bataille de l’Insurrection de Varsovie et, en cas de victoire polonaise, l’accélération, sacrifiée par Staline, de la marche polono-russe sur Berlin. La Victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie fut ainsi retardée par Staline de cinq à six mois. Mais, cette fois, la « participation tangible » germano-soviétique à la ruine de la Pologne se passa dans une conjoncture qui permettait difficilement d'en croire nos yeux, même à nous, Français, qui l'avions pourtant déjà vu arriver deux fois : en 1920 et en 1939, lors du pacte Ribbentrop-Molotov, avec ses protocoles secrets d’agression, qui avaient scellé la collaboration active et criminelle germano-soviétique jusqu’en juin 1941. Notamment la collaboration du NKVD et de la Gestapo pendant tout l’hiver 1939-1940, s’exerçant à l’assassinat en commun de la Résistance polonaise, prévu par les protocoles secrets du pacte. (Cf. le documentaire sur « la Gestapo », diffusé sur Arte les 8, 15 et 22 février 2006, et qui a omis cet épisode : cf. A.Viatteau, « Staline assassine la Pologne, 1939-1947 », op.cit.).
Lorsque la guerre polono-bolchevique avait pris fin en 1921, il restait à considérer les idées géopolitiques de Pilsudski qui auraient pu changer le sort de l’Europe. Une idée-force polonaise concernait la fédération d’une Union européenne du Centre-Est tournée vers l’Occident.
Le fédéralisme, la Fédération ou « Ligue », selon le terme en vogue à l’époque étaient déjà à l’étude. Pilsudski en était l’un des initiateurs. Cette idée de Pilsudski était destinée à créer une situation entièrement nouvelle dans l’Est de l’Europe. Un accord politique et militaire de la Pologne avec la Lituanie, puis avec la Lettonie et l’Estonie aurait modifié l’équilibre des forces au Nord. Une Ukraine indépendante ou autonome, liée par une alliance, non à la Russie, mais à la Pologne, et donc à l’Europe occidentale, aurait écarté le danger de pénétration russe bolchevique et de colonisation allemande, protégé la Roumanie et ouvert de nouvelles possibilités politiques, démocratiques et économiques à l’Europe. Constatons l’actualité du projet dans les années 2000 !
Ce que Pilsudski ne savait pas, c’est que son projet portait déjà ombrage, non seulement à la Russie et à l’Allemagne, mais aussi à la France et à la Grande Bretagne, plus enclines à partager la vision que développera le président tchécoslovaque Edouard Benes. Une idée en germe dans les années 1930, dans la préparation des accords Briand-Benes, et qui aboutira en 1943, quand l’URSS sera devenue alliée, au projet de Benes appuyé par le gouvernement français d’Alger. Benes voulait faire de l’Europe une « pierre angulaire de l’édifice européen qui est une collaboration étroite et une alliance solide entre la Grande Bretagne, la France, les Etats Unis, l’URSS et la Chine » en vue d’une fédération des Etats d’Europe Centrale « en bons termes avec les démocraties occidentales, mais s’appuyant principalement sur la Russie Soviétique » (de Staline !). Il y avait là un hiatus profond entre la vision fédéraliste de Pilsudski tournée vers l’Occident à travers la place dominante de la Pologne, et la vision panslaviste de Benes, organisant le fédéralisme centre-oriental sous la tutelle de l’URSS et dans le giron slave de la Russie.
Les socialistes de la Résistance polonaise essayaient de prévenir la France Libre et Benes – qui ne prendront conscience de leur erreur qu’au Coup de Prague en 1948 – en rappelant l’analyse que le dirigeant socialiste polonais, Ignacy Daszynski, avait faite en 1920, et qui n’avait pas vieilli en 1943 : « Le panslavisme et son rôle dans l’édification de l’étatisme russe s’assimile fantastiquement aujourd’hui au Komintern et aux Soviets. C’est une même propagande messianique internationale au profit de l’Etat russe, mais à l’aide, non du rouble, mais du dollar (observation juste de la « convergence » déjà à l’œuvre – AV) ; c’est un même camouflage idéologique des objectifs de l’étatisme soviétique avec des feuilles de vigne socialistes, ou communistes ». (Cf. A.Viatteau, « Staline assassine… », op.cit.).
En 1943, le Quai d’Orsay recevra un « Projet polonais d’Union Centrale » mettant en garde contre l’hégémonie de l’URSS. En réponse aux Polonais, un rapport diplomatique français confidentiel d’Alger ressasse d’anciennes réserves de Paris concernant les projets fédéralistes de Pilsudski dans l’entre-deux-guerres : « Dans l’Europe actuelle, où l’Allemagne et la Russie ont acquis une force considérable, il n’y a plus de place à la fois pour une France puissante et pour un « Royaume des Jagellons » ». (Cf. Archives du Quai d’Orsay, « Projet polonais d’Union Centrale », Alger, 29.10.1943 et Londres, 4.12.1943). La crainte de la renaissance de la Pologne avec sa puissance européenne de jadis, alors qu’il était – et qu’il est toujours, selon certaines convictions politiques françaises – dans l’intérêt de Paris de réduire la Pologne à un « petit pays », ou à une puissance « régionale », a été un élément constant et toujours erroné de notre politique étrangère depuis 1918, pour ne pas remonter dès avant la partition de la Pologne.
Au lendemain du retour de l’Etat polonais sur la carte de l’Europe, en 1918, Pilsudski poursuivait sa vision particulièrement claire de l’enjeu de la sécurité de son pays et de l’Europe, ainsi que de l’ensemble du problème des frontières avec ses voisins, dont tous n’avaient pas été libérés, comme la Pologne, par le Traité de Versailles. En décembre 1919, Pilsudski avait expliqué son projet à Leon Wasilewski, son envoyé à la Conférence d’Helsinki :
« Sur les territoires ayant appartenu jadis à la Russie tsariste, des plébiscites doivent absolument être organisés pour décider du sort de l’ancien Grand Duché de Lituanie, y compris la Lituanie ethnique.( ) La Pologne et la Russie doivent obtenir la garantie d’accès aux ports de la Baltique. Il faut poser à la Conférence le problème de l’Ukraine et faire de la Biélorussie un Piémont, pour pouvoir soulever un jour la question de son autonomie. Il faut que la Pologne obtienne de l’Entente la garantie de ses frontières occidentales, ce qui lui permettra d’en retirer une partie de ses forces armées. La clé de la situation se trouve au Nord. Là, il faut créer un front comprenant la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne. La paix avec la Russie doit être conclue en commun et simultanément par tous ces Etats ». (Cf. Waclaw Jedrzejewicz, « Jozef Pilsudski », éd. L’Age d’Homme, Lausanne, 1986 ; cf. aussi Kamil Dziewanowski, « Joseph Pilsudski, A European Federalist, 1918-1922 », Hoover Institution Press, Stanford University, California, 1969).
Voilà une vision qui ne choquerait aujourd’hui plus personne en Europe. On se demande même pourquoi l’Europe n’a pas adopté les idées polonaises de Pilsudski plus tôt. Mais, à l’époque, la propagande des Allemands et des Russes bolcheviques luttant contre l’anéantissement de leurs perspectives d’expansion, d’une part, l’inquiétude compréhensible des Polonais conservateurs, notamment nationaux-démocrates, devant ces audaces privant la Pologne de sa grandeur ancestrale, d’autre part ; la méfiance brutale de l’Ukraine et de la Biélorussie, et, en partie, de la Lituanie, voulant une indépendance pleine et entière, et non une autonomie fédérale ; enfin, la prudence méfiante, dédaigneuse et intéressée des démocraties occidentales, ont rendu le projet fédéral de Pilsudski impossible.
« Pilsudski avait une vision d’Etat fédéral avec des « cantons » : la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie, et l’Ukraine, à partir de 1920. Une grande fédération allant de la Roumanie à la Lettonie. Si cette idée avait pu se réaliser, cela aurait été une Union européenne du Centre-Est dont la Pologne aurait été le principal modérateur », écrit en 2004 Joanna Gierowska-Kallaur – spécialiste des archives lituaniennes et polonaises et auteur de plusieurs ouvrages scientifiques sur ce sujet. (Cf. J. Gierowska-Kallaur, « Unia ktorej nie bylo » (l’Union qui n’aboutit pas) in « Tygodnik Powszechny », 30.5.2004, Cracovie). Cependant, le parti nommé jadis « ententophile », fortement représenté dans le milieu polonais national-démocrate de Roman Dmowski à Paris (qui avait, lui aussi d’excellentes raisons), s’opposait à cette idée de Pilsudski avec autant de vigueur que Paris même. Les nationaux-démocrates polonais voulaient la réintégration pure et simple des confins orientaux à la Pologne, et Paris refusait la perspective de voir la Pologne redevenir le principal acteur face à la Russie à l’Est, dans une configuration politique nouvelle et moderne.
« Une Union européenne du Centre-Est aurait porté atteinte aux intérêts de la Russie, quelle que fût sa couleur politique, et aux intérêts allemands. La Russie et l’Allemagne avaient besoin d’éveiller des sentiments anti-polonais en Lituanie. La Russie, l’Allemagne et la Lituanie avaient besoin de sentiments anti-polonais en Biélorussie. Les historiens de ces pays ont encore beaucoup à découvrir dans les archives de l’époque ». (Cf. ibidem). C’est une vaste tache blanche dans l’historiographie française également.
C’est dans ce contexte international que la victoire polonaise et occidentale dans la guerre polono-bolchevique de 1918-1921 a été capitale. Ce fut une victoire qui sauva l’Europe, mais éveilla contre la Pologne la haine de l’Union soviétique totalitaire et de l’Allemagne qui allait le devenir bientôt. Pilsudski, en tant que chef de guerre et concepteur du plan de bataille en août 1920 sur la Vistule, mais aussi les généraux Rozwadowski et Sikorski, ainsi que les soldats polonais, auxquels le capitaine de Gaulle rendit hommage, sauvèrent l’Europe du déferlement bolchevique germano-russe. Lénine et Trotsky s’étaient appuyés tant sur le mouvement spartakiste allemand d’extrême gauche que sur des corps-francs allemands d’extrême droite pour jouer de la volonté des deux pays de prendre leur revanche contre le Traité de Versailles.
« Une aide allemande active est acquise aux Russes rouges, qui comptent forcer la Coalition à réviser le Traité de Versailles », constataient le 2ème Bureau polonais et l’observateur anglais, le colonel Spedding de la Mission militaire britannique auprès du Commandement polonais, au lendemain de la victoire de la Vistule. « Un ancien officier allemand attaché à l’état-major général de la XIIème armée bolchevique à Ostroleka, et travaillant pour la Russie en tant qu’intermédiaire entre communistes allemands, russes et anglais, a reconnu à Kovno (Kaunas) que le plan de l’armée bolchevique est de conclure une alliance avec l’Allemagne pour déclarer la guerre à la France ». Voilà l’un des messages secrets de Berlin interceptés par le Renseignement de Pilsudski le 19 septembre 1920, un mois après la défaite russe sur la Vistule. La guerre secrète s’est poursuivie bien après l’ultime victoire polonaise sur le Niémen qui aboutira au Traité polono-russe de Riga du 17 mars 1921. (Cf. « Sasiedzi wobec wojny 1920 roku » (Les voisins de la Pologne pendant la guerre de 1920), archives éditées par Janusz Cisek, op.cit.; cf. aussi Pawel Zaremba, « Historia Dwudziestolecia, 1918-1935 » (L’Histoire des 20 années de 1918-1935), éd. Instytut Literacki, Paris, 1981).
Le 2 octobre 1920, lorsque l’Armée rouge battit en retraite devant les armées polonaises et dut se rendre, acceptant sa défaite, Lénine déclara : « Si la Pologne était devenue soviétique (…) la paix de Versailles aurait été pulvérisée et tout le système international établi grâce à la défaite de l’Allemagne aurait succombé. (…) Si l’offensive de l’Armée rouge avait été victorieuse, non seulement Varsovie aurait été prise, mais la paix de Versailles aurait été détruite ». (Cf. ibidem).
Voilà ce que l’Europe devait à la Pologne. Et, c’est pour renforcer le « bouclier » polonais, que Paris et Londres avaient appuyé le combat de leur alliée, tout en observant que sa victoire ne tourne pas trop au désavantage de la Russie. Les plans et les agissements germano-soviétiques auraient pourtant dû inciter la France et l’Angleterre à se ranger plus énergiquement qu’elles ne l’ont fait du côté de Pilsudski et de ses plans de paix constructive à l’Est et à l’Ouest de la Pologne, sans craindre pour elles de rivalité polonaise. Il n’en a rien été. On aurait dit que le danger géopolitique réel échappait à nos chancelleries.
C’est la raison pour laquelle, après la terrible expérience de l’occupation bolchevique de Riga en 1919, et devant la volonté russe d’occuper Wilno, Grodno, Lida (portant à l’époque leurs noms polonais) « aussi longtemps que l’exigeront les nécessités stratégiques de les occuper », clamait Lénine ; c’est à dire à l’infini, quand on comprend le langage de Moscou, Pilsudski donna l’ordre à ses troupes d’entrer dans Wilno : l’ordre de « libérer et non d’occuper Vilnius », comme le précise aujourd’hui, devant la persistance de la désinformation héritée de l’URSS, l’historienne lituano-polonaise Joanna Gierowska-Kallaur (Cf . J.Gierowska-Kallaur, op. cit. ; cf. aussi A.Viatteau, « La Lettonie au musée d’histoire du communisme », classique de science politique n°7, janvier 2006, www.diploweb.com ).
Le 8 octobre 1920, sans attendre les décisions politiques de la Coalition qui traînent en longueur, Pilsudski donne, dans l’urgence, l’ordre au général Zeligowski (et non Jelikowski, comme on le trouve parfois écrit à la russe en France), à la tête de sa Division lituano-biélorusse qui venait de se couvrir de gloire contre les bolcheviques, de s’« insurger », et de reprendre Vilnius, malgré les protestations et les notes des gouvernements anglais et français. Pilsudski était décidé à mettre rapidement fin à cette guerre, où il avait l’impression que la France et l’Angleterre voulaient que la Pologne servît de gendarmerie mobile à l’Entente, parfois au détriment de ses propres intérêts.
Ainsi, Pilsudski a mené le combat à son terme, et il a pu imposer un armistice aux bolcheviques le 12 octobre 1920, mettant fin à la guerre, du moins aux opérations militaires. Car la propagande et la désinformation, tant de Moscou que de Berlin, allaient bon train. Elles n’épargnaient ni Paris, ni Londres. Le sujet mérite une étude approfondie à partir des archives disponibles, car des retombées de ces propagandes ont subsisté dans la diplomatie de tout l’entre-deux-guerres, et subsistent dans l’historiographie jusqu’à aujourd’hui.
C’est ainsi que la Pologne et Pilsudski sauvèrent pour vingt ans le système international européen. Cependant, l’Entente voulait reconstituer une Russie puissante au détriment de la puissance, ou de l’influence polonaise. L’émigration russe, notamment celle issue de la Révolution de Février 1917, offrait aussi une alliance à la Pologne, dont elle attendait refuge et protection contre les bolcheviques d’Octobre. Mais, de Paris, elle prévenait Varsovie que « la Russie ne permettrait jamais l’existence d’une Lituanie, Estonie, Lettonie indépendantes, car elles n’étaient pas plus mûres que l’Ukraine pour l’indépendance », ainsi que le rapportait Savinkov à Pilsudski. (Cf. Stanislaw Kowalczyk, « Savinkov », éd. LNB, 1992, Varsovie).
L’ancien Ambassadeur de la République Polonaise à Paris, le Professeur Jerzy Lukaszewski, expliquait le 17 mai 1995, dans l’amphithéâtre Guizot de la Sorbonne que « dans l’historiographie ouest-européenne, la guerre polono-russe de 1920 avait toujours fait naître des controverses. Sa genèse et ses conséquences étaient l’objet d’interprétations éludant ou déformant la vérité historique. (…) C’est ainsi que les interprétations des faits par l’historiographie occidentale s’alignaient sur celles des historiens russes et soviétiques ».
L’historien polonais Andrzej Ajnenkiel, spécialiste de l’histoire militaire, est du même avis. Il constate lui aussi que « des décennies durant, on a cherché à nous imposer la version de notre « impérialisme » polonais, alors que la réalité était autre ». Lancée par Lénine et Trotsky contre la Pologne pour porter la révolution bolchevique à « l’Union européenne prolétarienne », l’Armée rouge trouva en février 1919 face à elle, en arrivant déjà sur la rivière Bug, à Brest-Litovsk, les armées polonaises. La Pologne livra dès lors un combat, qui était vital pour elle, et qui était vital aussi pour l’Occident, afin d’empêcher la réalisation par les armes et par la terreur de la « Fédération communiste » de l’Europe.
En signant la paix de Riga, la Pologne laissait hélas aux mains des Soviétiques des territoires peuplés de Polonais. Elle cessait la lutte armée contre la Russie soviétique, et progressivement tout appui aux organisations de résistance et aux armées étrangères, russes ou ukrainiennes. Varsovie intégrait seulement dans les rangs de l’Armée polonaise les officiers et soldats étrangers de ces formations exposées à la vindicte de Moscou, et leur donnait le droit d’asile. Dans les dix jours suivant le 21 novembre 1920, 35 000 soldats ukrainiens sont passés du côté polonais, ainsi que 15 000 soldats biélorusses. La Pologne avait-elle raison de mettre fin à la guerre avec les bolcheviques, que la France et l’Angleterre voulaient encore lui faire combattre, tout en poursuivant elles-mêmes avec la Russie des relations fructueuses ? Pilsudski a fait ce choix pour permettre à son pays de se reconstruire, pour le tourner vers l’Ouest et vers la France. Pour tenter de bâtir enfin la paix européenne.
Cependant, en Lituanie, en Biélorussie, en Ukraine, à Prague, à Vienne, à Berlin, à Berne, à Paris ou à Londres, des agents bolcheviques – et allemands – continuaient à œuvrer à la provocation de mouvements et d’incidents à l’Est, pouvant servir de prétexte à des « interventions de détachements rouges nationaux, mais créés par des bolcheviques de Moscou » et à des « actions de propagande soviétique », ainsi qu’en témoignent les archives de l’époque. (Cf. J.Cisek, op.cit.).
« Les tentatives depuis 1918 de l’Armée rouge de porter à la pointe des baïonnettes la révolution à l’Ouest de l’Europe fut brisée, écrit l’historien Andrzej Ajnenkiel. La Pologne a sauvé plusieurs pays de la cruelle expérience qui, depuis 1917, était vécue par les Russes, les Ukrainiens, les Biélorusses, pour ne parler que de ces nations-là. Le Traité de Riga, bien qu’il apportait des décisions amères et décevantes aux Ukrainiens et aux Biélorusses, fondait, en stabilisant la situation en Europe Centrale et Orientale, la garantie de l’existence étatique indépendante de nos voisins du Nord-Est : de la Lituanie, Lettonie, Estonie et Finlande. Le fait établi garantissait à la Roumanie ses frontières, mais aussi son indépendance. Il y a eu en effet peu de solutions militaires qui, en une seule fois, ont eu tant de poids historique que la bataille de la Vistule.
« Ce qui témoigne le mieux du rôle que la Pologne a joué grâce à l’issue de la bataille de Varsovie, c’est le fait que, lorsque l’on manqua de son influence stabilisante vingt ans plus tard, le pacte Ribbentrop-Molotov apporta aussi la chute aux Pays Baltes, ainsi que des épreuves aux nations de cette région – épreuves qu’avaient subies plut tôt , sous le bolchevisme, Russes, Ukrainiens et Biélorusses ». (Cf. Andrzej Ajnenkiel, Postface à « La dix huitième bataille décisive du monde devant Varsovie en 1920 » d’Edgar V. d’Abernon, éd. PWN, Varsovie, 1990).
Et la chute du camp soviétique, au seuil du XXIème siècle, notamment grâce à la résistance sans trêve des Polonais, ainsi que le rétablissement de la Pologne dans le concert des nations démocratiques occidentales, ont redonné leur indépendance aux Pays Baltes voisins, ainsi qu’aux pays voisins de l’Est ; ils ont amené à l’intégration de ces pays à l’Union européenne, et ils contribuent à stabiliser et à démocratiser la région au détriment de la survivance du « bloc » soviétique. On vient d’en voir encore l’accomplissement démocratique en Ukraine, en hiver 2004-2005.
Mais, on assiste également à la riposte russe du Kremlin à chacune de ces libérations et émancipations. Réactions politiques ou économiques, notamment gazières, comme on l’a vu en hiver 2005-2006. Par ailleurs, le président Poutine a nommé, le 22 mars 2005, un proche du principal idéologue Gleb Pavlovsky, Modeste Kolerov, rédacteur en chef de l’agence d’information « Regnum », pour diriger les « contacts avec l’étranger ». Notamment pour « nourrir la réflexion sur la nécessité de reconstruire l’empire russe, de récupérer par la Russie ses influences sur l’étendue de l’ancienne URSS, de prendre des mesures de prévention contre les ennemis intérieurs et extérieurs (L’UE et l’OTAN) et contre le complot des ennemis qui ont causé les « révolutions de velours » en Géorgie et en Ukraine ». En ce qui concerne les Pays Baltes, Kolerov a écrit : « L’occupation des pays baltes n’est pas, dans l’immédiat, dans l’intérêt de la Russie. Mais, si elle apparaît comme profitable, il n’y a pas d’obstacles formels » (sic !) (Cf. « Tygodnik Powszechny », mars 2005, Cracovie).
Simultanément, on assiste aussi à une recrudescence des tentatives de la Russie actuelle de combattre et d’amoindrir sur la scène internationale, dans la diplomatie et dans l’opinion, l’influence de la Pologne. « De quoi ont-ils si peur ? », se demandent des observateurs et des spécialistes internationaux à propos des hommes du président Poutine engagés dans « l’opération médiatique » (Internet, presse, audiovisuel), ainsi que dans « un grand projet d’éducation », et chargés de « vacciner » les partenaires européens et atlantistes de la Pologne, les nations libérées de l’Union soviétique et membres de l’UE, ou candidates à l’entrée dans l’Union, ainsi que les Russes eux-mêmes ; de les « vacciner aux idées, aux contacts, aux influences de la Pologne comme exemple d’un pays actif sur le forum international et potentielle concurrente (de la Russie) ». Pour cela, le Kremlin encourage notamment le maintien de la désinformation concernant l’histoire des relations russo-polonaises, du massacre de Katyn et du génocide polonais commis par l’URSS de Staline, de la participation des forces armées polonaises à la Victoire sur le nazisme (comme on l’a vu le 9 mai 2005 à Moscou), de l’histoire de la Pologne en général. Moscou tient particulièrement à l’amoindrissement du rôle et de la contribution de la Pologne et des Polonais au développement de l’Europe ; de leur action et de leur exemple pour l’Europe occidentale et pour l’Europe du Centre-Est. (Cf. « Dossier russe » in revue « Znak », n°10/05, et « Tygodnik Powszechny », 6.11.05, Cracovie).
Jusqu’où la France s’engage-t-elle, sans le savoir ou sans s’en rendre pleinement compte, à la suite de la Russie dans cette voie de la désinformation mensongère – par action et par omission –, ou de la mésinformation née de l’ignorance ? En même temps, nous voyons là toute la délicate transition de la désinformation à l’intoxication. Cette dernière est une arme de guerre, militaire ou civile, qui consiste à faire raisonner juste sur des données fausses, et donc à plonger les observateurs et les acteurs mêmes de la géopolitique actuelle et future dans l’erreur et la confusion.
Avant de passer à l’ultime initiative européenne de la Pologne qui aurait pu transformer le sort de l’Europe en empêchant, peut-être, la résistible montée de l’hitlérisme en Allemagne en 1933, disons deux mots sur un point qui a longtemps irrité Polonais et Français: quel fut le rôle du général Weygand pendant la bataille de la Vistule ? Pendant cette bataille qui devint, selon le mot de Lord d’Abernon, la « 18 ème bataille décisive du monde », Pilsudski imposa son plan et agit sans filet, bien servi par ses généraux et ses troupes, ainsi que par la présence d’observateurs alliés français et britanniques.
Rendant hommage à l’action militaire de Pilsudski, Lord d’Abernon écrivit : «La victoire a été remportée avant tout grâce au génie stratégique d’un seul homme, et parce que celui-ci avait mené une action si périlleuse qu’elle demandait plus que du talent, de l’héroïsme ». (Cf . Edgar V. d’Abernon, « The Eighteenth Decisive Battle of the World :
Le général Weygand a joué, pour sa part, un rôle primordial dans la préparation de la bataille du 6 au 14 août, en assurant à la Pologne l’arrivée indispensable du matériel de guerre, principalement français, envers et contre les difficultés créées par les syndicalistes allemands dans les ports. Décoré par Pilsudski de la plus haute distinction militaire, la Croix de « Virtuti Militari », fêté par Varsovie reconnaissante, Weygand – qui n’appréciait pas la flagornerie –, a eu ce mot, lorsqu’il revint à Paris où l’on voulait évidemment le créditer de la victoire sur la Vistule: « La France a suffisamment de sa propre gloire militaire pour ne pas tenter de l’accroître aux dépens de la Pologne ». On ne peut que souhaiter à nos historiens la rigueur de la vérité du général Weygand. Dans l’enseignement militaire, cela semble aujourd’hui acquis. Le Larousse en 22 volumes le reconnaît également : « Pilsudski a remporté la bataille de la Vistule » (éd. de 1978).
Le capitaine Charles de Gaulle (grand admirateur de Jozef Pilsudski) qui faisait partie de la mission française à Varsovie en août 1920, et qui observa à ce titre la bataille de la Vistule, a noté au lendemain de la victoire polonaise : « Ah, ce fut une manœuvre magnifique. Nos Polonais l’ont exécutée comme portés par des ailes ! »
Le danger bolchevique direct écarté à l’Est, le danger nazi grandit au cœur de l’Europe. Précurseur du « droit d’ingérence » et de la « guerre préventive », le maréchal Pilsudski aurait-il pu prévenir l’expansion nazie et la Seconde Guerre mondiale, comme beaucoup l’ont espéré jusqu’à sa mort en 1935 ?
Assistant à la montée des deux totalitarismes criminels, soviétique, puis nazi en Europe, Pilsudski a tenté dès 1933 de prévenir la catastrophe qu’il percevait clairement. Pragmatique, préoccupé pour son pays et pour l’Europe, l’homme d’Etat polonais avait essayé, dès Rapallo, Locarno, la montée en puissance de la Russie et de l’Allemagne, de prévenir les dirigeants des démocraties occidentales, ses alliés, et de les faire réagir. Ce fut une grande idée, qui ne put être réalisée, de « guerre préventive » contre Hitler et le parti nazi à leur avènement au pouvoir à Berlin. Si Paris avait suivi Varsovie, cela aurait-il épargné la tragédie de la guerre, des destructions, des deuils, des génocides et de la Shoah ?
Lorsque Paris et Londres firent la sourde oreille, alors seulement Pilsudski décida de mettre la Pologne à l’abri en concluant des accords de non-agression avec l’Allemagne et l’URSS en 1934. A l’époque, Pilsudski était déchiré, car il ne voyait pour la Pologne de bonne alliance qu’avec la France. Mais, celle-ci avait refusé l’action préventive. La France s’affaiblissait dans l’arène internationale, qui était dominée par la diplomatie allemande de la force et par celle de la SDN, toute tournée vers la « conciliation ». Une conciliation impossible avec l’idéologue du « Mein Kampf » aux visées agressives, destructrices et criminelles.
Cela générait des incohérences : « Il faut que les Etats soient substantiellement désarmés pour que les sentences arbitrales s’imposent, pour que les sanctions politiques contraignent… », disait Léon Blum à la SDN en juillet 1935. Mais un autre délégué français, Yvon Delbos, avait dit en juin que les sanctions militaires en cas d’agression ne seraient obligatoires « que pour les Etats directement intéressés au conflit en vertu de leur situation politique, ou géographique, les autres Etats sociétaires n’étant tenus qu’aux sanctions d’ordre économique ou financier ». (Cf. Pierre Brossolette, « Conception française du « règlement général » de la paix en Europe » in Politique étrangère, n°1, février 1937, Paris). Belle assurance pour les pays agressés, au préalable désarmés ! Belle assurance pour la Pologne, dont seuls les potentiels agresseurs étaient « géographiquement » intéressés ! Les Français, dans des entretiens officieux, expliquaient aux Polonais que leurs armées ne se battraient pas pour « je ne sais quel couloir polonais », avis partagé par plusieurs éminents politiques et hommes d’Etat de la France. (Cf. Piotr Wandycz, « Trzy dokumenty » (Trois documents), in Zeszyty Historyczne, Paris, 1963)
Voilà pourquoi Pilsudski craignait tant, avant sa mort, le 12 mai 1935, l’inaction de la France. Il craignait, non seulement pour la Pologne, mais aussi pour la France une guerre avec l’Allemagne. Car, disait-il, « la France ne gagnera pas cette guerre », puisqu’elle avait permis la montée d’un régime fou qui réarma l’Allemagne et qui, déjà après la mort de Pilsudski, occupa la zone démilitarisée de la Rhénanie, sans que la France ne bougeât, en dépit, une fois de plus, de l’assurance officielle de l’appui polonais. (Cf. Alexandra Viatteau, « L’apport de la Pologne aux 20 ans de paix entre les deux guerres, 1919-1939 », op. cit.).
On juge les grands esprits politiques sur leur capacité de prévision et de décision au moment opportun. Pilsudski avait sans doute eu raison de proposer en 1933 la « guerre préventive » contre Hitler. Après la Seconde Guerre mondiale, des Français éminents lui donnèrent raison : « Il semble qu’il (Pilsudski) ait compris qu’il fallait étouffer ce danger (nazi), l’écraser dans l’œuf avant qu’il ne devînt trop redoutable, et qu’il ait voulu, en créant de toutes pièces un incident (le 13 mars 1933 à Gdansk – AV) éprouver l’esprit politique et la résolution des alliés » (Cf. ibidem et A. François-Poncet, « Souvenirs d’une ambassade à Berlin, septembre 1931-octobre 1938 », Paris, 1946).
On retrouve le même hommage dans la déposition de Léon Blum après la guerre: « A mon avis, il existait un moyen peut-être unique de prévenir la guerre de 1939. Ce moyen consistait à pratiquer, dès la prise de pouvoir par Hitler, une opération préventive. (…). Je pense aujourd’hui, en mon âme et conscience, que l’Angleterre et la France, la Pologne se joignant à elles, auraient pu et dû pratiquer une opération dès 1933. (…) Si nous avions, à cette époque, les autres partis socialistes et nous, que l’on traitait chaque jour comme des pacifistes bêlants et parfois comme les avocats de l’Allemagne, si nous avions proposé d’interdire par la force l’installation en Allemagne du gouvernement nazi, je crois que nous aurions pu entraîner avec nous l’opinion publique de la majorité des Parlements » (Cf. ibidem et « la déposition de Léon Blum devant la Commission sur les événements de 1933 à 1945 », in « Le Figaro », 27.12.1951, Paris).
La proposition par Varsovie d’une opération préventive franco-polonaise avait été faite secrètement par plusieurs canaux officieux et officiels à la fois. La réponse de la France fut que la convention franco-polonaise était défensive et non offensive, et que la société française ne tolérerait pas d’action franco-polonaise contre Monsieur Hitler. En quoi devait consister l’action ? Voilà le plan polonais : Pilsudski prend trois initiatives simultanées :
1) il concentre des troupes polonaises en Poméranie et autour de la Prusse orientale ;
2) il demande qu’une commission internationale examine l’état des armements secrets allemands, réalisés en infraction au Traité de Versailles ;
3) il suggère qu’en cas de refus de l’Allemagne d’autoriser l’examen de son potentiel militaire, l’armée française occupe la Rhénanie et l’armée polonaise la Prusse orientale et la Silésie.
C’est cela qu’on appelle la « guerre préventive ». (Cf. Alexandra Viatteau, « 1933-2003 : La « guerre préventive selon Varsovie et Washington », classique de science politique n°4, 7.12.2003, www.diploweb.com ; cf. aussi Waclaw Jedrzejewicz, « The Polish Plan for a « Preventive War » against Germany in 1933 », éd. The Polish Review, 1966, New York).
C’est lorsque le gouvernement français ne donna même pas de réponse à la proposition polonaise de former une commission de contrôle des armements allemands, et qu’il ignora le danger potentiel d’agression de la part d’une Allemagne dirigée par un psychopathe, que Pilsudski fit volte-face. Il ordonna que l’on sonde les possibilités de détente avec l’Allemagne pour reculer le « court-circuit » jusqu’au jour où le conflit germano-polonais prendrait une signification internationale concernant « politiquement et géographiquement » des alliés, qui respecteraient alors leur alliance et leurs engagements pour leur propre sécurité, comme en 1920. Jusque-là, une analyse du Quai d’Orsay de 1930, toujours suivie par Paris en 1933, puis au moment de la signature de l’accord germano-polonais du 26 janvier 1934, fixait la marche à suivre ; une note confidentielle française établissait que:
« Tant que la notion de l’agression n’aura pas été exactement définie en droit international, et pour peu que les conditions dans lesquelles le conflit armé se sera déclaré, prêtent à discussion, il faut s’attendre à ce que certains Etats se dérobent aux obligations assumées par eux en vertu de l’article 16 du pacte de la Société des Nations, ou en profitent même pour intervenir dans le conflit au mieux de leur intérêt politique.
L’Allemagne elle-même ne manquerait pas, si la France se portait au secours de la Pologne et si la majorité du Conseil s’était prononcée, ou se prononçait après coup, en sa faveur, d’invoquer à son profit le pacte de Locarno, en accusant à son tour la France d’agression, et en demandant contre elle l’intervention des puissances garantes du pacte. La France pourrait alors se trouver dans une situation délicate, dont la perspective est de nature à influer sur les décisions de son gouvernement lorsqu’il aura à INTERPRETER (souligné dans le texte – AV) et à exécuter les engagements contractés vis à vis de la Pologne » (Cf. Note intitulée à la main « EMA 2 » du 9.10.1930, annotée à la main : « de l’éventualité d’un conflit armé germano-polonais » in A. Viatteau, « L’apport de la Pologne aux 20 ans de paix… », op. cit. et « La « guerre préventive »selon Varsovie et Washington », op.cit.).
Dans ces années 1930, le Pape Pie XI et le maréchal Pilsudski (que le Pape connaissait depuis 1920 et estimait fort) avaient discerné clairement la menace totalitaire et criminelle de l’hitlérisme et du stalinisme. Le Pape avait promulgué à Pâques 1937 deux encycliques, « Mit Brenender Sorge » contre le nazisme et « Divini Redemptoris » contre le communisme. Pie XI mettait en garde dans ces textes prophétiques contre le caractère génocidaire des deux idéologies et des deux régimes. Pilsudski, terre à terre, avait tenté de mobiliser les puissances démocratiques pour le combat inévitable.
Lorsque Hitler agressa la Pologne, le 1er septembre 1939, la France et l’Angleterre entrèrent aussi en guerre, mais laissèrent tout d’abord la Pologne combattre seule, se mettant elles-mêmes sur la défensive. Lorsque Staline agressa la Pologne, le 17 septembre 1939, en collusion avec Hitler, le mouvement de contre-attaque de l’armée polonaise fut brisé, et la campagne de Pologne fut perdue. Ce ne fut pas un « blitzkrieg », terme qu’imposa la propagande de guerre allemande, et que des historiens reprirent un peu à la légère, mais une campagne de tout un mois, désespérée et condamnée à l’échec par « le coup de couteau dans le dos » de Moscou, et par l’impossibilité des alliés français et anglais de se joindre au combat. Après la défaite de la Pologne par l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, à l’issue d’un mois entier de combats vaillants, mais restés solitaires, la Pologne ne représenta plus pour l’Europe le « rempart » et l’artisan de la victoire européenne de 1920 sur le communisme soviétique et spartakiste, ainsi que sur le revanchisme allemand, mais le premier Allié, combattant dès la première heure et sur tous les fronts contre le nazisme.
Le 1er août 1944, après cinq ans de résistance armée incessante, et dans le cadre d’un plan allié final, éclata la bataille appelée « l’Insurrection » de Varsovie, qui devait aboutir à la reprise de Varsovie aux Allemands et à la progression des Alliés polonais et russes vers Berlin. « LA BATAILLE DE VARSOVIE FUT UN SECOND STALINGRAD par l’intensité des combats que nous avons été obligés de livrer », annonça un communiqué de la Wehrmacht au moment où l’Insurrection s’effondrait, au début d’octobre 1944. « Si les soldats allemands n’avaient pas introduit dans la bataille absolument tous les moyens dont ils disposaient, leur combat aurait été sans espoir », dit la radio des armées « Mitte », le 30 septembre 1944. Ces « moyens de lutte ultramodernes en grande quantité », selon le rapport militaire allemand, ainsi que l’immobilisation de l’armée soviétique ordonnée au début d’août par Staline, avaient condamné l’Armée de l’Intérieur polonaise à la défaite, mais seulement après deux mois et cinq jours de combats héroïques, trahis par les Alliés soviétiques, dont le chef, Staline, se comporta en ennemi, comme en 1939.
La bataille de l’Insurrection de Varsovie en été 1944 fut la dernière grande bataille polonaise pour l’accélération de la Victoire, mais aussi pour que l’Europe reste démocratique, en échappant, comme en été 1920, au rouleau compresseur communiste soviétique qui avançait vers l’ouest de l’Europe. Sans la bataille de Varsovie, dans laquelle Staline voulait voir périr l’Armée polonaise, pour ne pas avoir à se mesurer à elle à la Libération, l’Armée rouge ne se serait pas arrêtée sur l’Elbe, mais seulement sur le Rhin. (Cf. A.Viatteau, « Le crime de Staline contre Varsovie », chap. VIII de « Staline assassine… », op.cit.) ; « L’Insurrection de Varsovie, la bataille de l’été 1944 », dir. Alexandra Viatteau, éd. Presses de l’Université de Paris Sorbonne (PUPS), Paris, 2003 ; cf. Jan Nowak-Jezioranski, « L’Insurrection de Varsovie, essai d’analyse de la bataille » et Alexandra Viatteau, « La bataille de Varsovie dans le plan stratégique « Tempête », ainsi que A.Viatteau, « Varsovie insurgée », éd. Complexe, Bruxelles, 1984).
Pour conclure cet exposé, il est important de souligner que la « guerre polono-bolchevique » exprime dans son intitulé la nature même du combat qui a été livré. Ce ne sont pas les Polonais et les Russes qui se sont affrontés. C’est l’Etat polonais démocratique, renaissant après l’occupation despotique des trois empires, et notamment de l’empire des tsars russes, qui a livré combat contre une dictature nouvelle bolchevique, totalitaire et criminelle, déjà en collusion avec des forces allemandes formant l’embryon du national-socialisme nazi. L’Etat polonais démocratique, appuyé par les démocraties occidentales, menacées elles aussi, a alors remporté la victoire pour sa liberté et pour la nôtre, méritant bien le titre de « rempart de l’Europe ».
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la stratégie et la politique alliées de « blocs » ont sacrifié à Staline, non seulement le « rempart » polonais, mais aussi toute l’Europe centrale et orientale. Dans un ultime effort de résistance et de contribution nécessaire à la Victoire, les Polonais ont encore livré une grande bataille contre l’occupation nazie, et pour prévenir, après la libération, une nouvelle occupation et oppression communiste soviétique en train de s’étendre en Europe. Tel fut le sens de la Bataille de Varsovie (1er août-5 octobre 1944). Cette fois, les démocraties occidentales n’ont pu, ni n’ont voulu épauler la Pologne. Le « procès des seize » dirigeants de la Résistance polonaise enlevés par le NKVD sur le sol polonais, et soumis à Moscou à une parodie de justice truquée et inique, au nez et à la barbe des dirigeants occidentaux impuissants, servit seulement de commencement à l’éveil de la conscience du monde libre face la réalité soviétique. (Cf. A.Viatteau, « La fin de la Pologne libre », chap. XII in « Staline assassine… », op.cit.).
Cependant, le poids militaire, politique et idéologique de l’URSS, victorieuse en 1945, non seulement de l’Allemagne nazie, mais aussi, dans une certaine mesure, de l’Occident démocratique, a permis de confiner les événements, dont ceux qui ont été exposés ici, ainsi que beaucoup d’autres, dans l’oubli, et de les soumettre à l’occultation et à la désinformation, menant à l’intoxication – dont les formes le plus pathogènes sont l’auto-désinformation et l’auto-intoxication. (Cf. Alexandra Viatteau, « La guerre et la désinformation en Europe, le poids de l’Union soviétique (1939-1945) », in « Les sociétés, la guerre et la paix de 1911 à 1946 », dir. Gérard Berger, éd. Ellipses, Paris, 2003).
C’est pourquoi il convient de rappeler sans cesse aux enseignants, aux étudiants, aux journalistes, aux diplomates, aux hommes politiques et aux citoyens l’importance de la mémoire non réprimée et de la connaissance non falsifiée des faits européens dans l’élaboration d’une opinion et d’une politique justes à l’échelle de la France, de la Pologne et des autres pays membres de l’Union européenne.
« Aujourd’hui, alors que la Pologne est souvent traitée comme un pays qui profite seulement des transformations en Europe, il est bon de rappeler ces moments-clé de l’histoire où, de l’attitude des Polonais a dépendu, non seulement la sécurité, mais aussi, dans une certaine mesure, l’âme de l’Europe », écrit l’historien et journaliste Zbigniew Gluza, rédacteur en chef de la revue Karta. (Cf. « Rok 1920 » in « Tygodnik Powszechny », 30.10.2005). Cette revue scientifique publie des archives de l’Institut de la mémoire nationale (IPN) de Pologne, où il nous serait très utile et profitable de puiser la connaissance de notre histoire commune.
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