vendredi 16 novembre 2007

Yahoo! paye le prix de ses liens avec la cyberpolice chinoise

C'est le prix de la trahison, et Yahoo l'a payé. La société américaine a en effet accepté de dédommager les familles du journaliste Shi Tao et du dissident Wang Xiaoning, emprisonnés en Chine sur la base d'informations communiquées à la justice chinoise par Yahoo.

Cette affaire empoisonne la réputation de Yahoo depuis plus de deux ans. Shi Tao, un journaliste chinois, a été condamné à dix ans de prison en avril 2005 pour "diffusion de secrets d'Etat", pour avoir transmis à l'étranger les consignes officielles aux médias chinois à l'occasion du quinzième anniversaire du massacre de Tiananmen en 1989. Au cours de son procès, on a appris que la police chinoise avait pu remonter jusqu'à lui grâce aux informations communiquées par Yahoo sur le compte e-mail de Shi Tao, pourtant enregistré auprès de Yahoo à Hongkong et pas en Chine continentale.

Mis en cause par les organisations de défense des droits de l'homme, Yahoo avait eu une défense maladroite, soulignant qu'il était obligé de coopérer avec la justice dans tous les pays où il opérait, généralement sur des affaires de pédophilie, de blanchiment d'argent, ou de trafic de drogue. Et qu'il ignorait le contexte de la requête de la justice chinoise. Jerry Yang, le fondateur de Yahoo (né Taiwan), avait visiblement sous-estimé l'émoi que cette affaire allait susciter, notamment dans la blogosphère américaine.

L'affaire devait finalement aboutir à une audition au Congrès, au cours de laquelle des responsables de Yahoo ont été sommés de s'expliquer sur cette "collaboration" avec la machine répressive chinoise. En présence de la mère du journaliste emprisonné, les dirigeants de Yahoo ont parlé de "malentendu". Mais ils se sont attiré une réplique cinglante du sénateur démocrate Tom Lantos: "alors que vous êtes des géants de la technologie et de la finance, moralement vous êtes des Pygmées"...

Circonstance aggravante, des révélations ultérieures ont montré que les dirigeants de Yahoo ont menti au Congrès. selon un document rendu public par le site chinois-américain Boxun.com, et relayé par la fondation américaine Dui Hua qui se consacre à la défense des prisonniers politiques chinois, Yahoo a répondu à l'injonction de la sécurité d'Etat chinoise qui faisait clairement référence à la nature politique de l'enquête en cours. La requête du Bureau de la sécurité d'Etat de Pékin à Yahoo évoquait spécifiquement "la transmission illégale de secrets d'Etat à des entités étrangères".

La fondation Dui Hua rappelle que lors d'une audition sous serment, le vice-président senior de Yahoo, Michael Callahan, avait affirmé: "Lorsque Yahoo Chine, à Pékin, a reçu une demande d'information sur un utilisateur dont nous avons appris par la suite qu'il s'agissait de Shi Tao, nous n'avions aucune information sur la nature de l'enquête".

Epilogue cette semaine, avec l'accord à l'amiable conclu entre les avocats de Yahoo et les familles de Shi Tao et du dissident Wang Xiaoning, condamné en 2003 dans des circonstances assez similaires. Les deux familles avaient porté plainte contre Yahoo en Californie. Les détails financiers de la transaction n'ont pas été révélés.

Affaire classée? Pas si sûr: outre le fait que les deux hommes restent en prison, Yahoo n'a pas indiqué comment il se comporterait en cas de requête du même ordre. Yahoo est fortement présent en Chine, avec un investissement d'un milliard de dollars dans le géant chinois Alibaba.com (qui a récement fait une entrée en bourse fracassante), et entend bien profiter du fabuleux marché chinois...

Plus généralement, c'est le rôle des grandes sociétés étrangères, fournisseurs de contenu ou de technologie, dans leurs rapports avec le gouvernement chinois qui est en cause. L'épilogue de l'affaire Yahoo/Shi Tao a au moins le mérite de leur montrer qu'il y a un prix à payer à collaborer avec une machine représsive.


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