dimanche 11 novembre 2007

Ecolo langue de bois

La conscience vue du ciel


AMI, as-tu « réduit ton impact » ? As-tu songé à « compenser tes émis­sions » ? Consultes-tu régu­lièrement ton « éco-comparateur » ? Non ? Pas encore ? Mais alors... alors tu n'es pas un véritable ami de la pla­nète ! Introspecte - toi deux mi­nutes et avoue : au fond, tu n'es pas en paix avec toi-même. Tu sais bien qu'en tant que Français moyen tu émets chaque année l'équi­valent de 2,7 tonnes de CO,, c'est plus que ce que la Terre peut absorber par an et par personne, c'est trop : tu ré­chauffes la planète. Et tu restes les bras ballants ?

Heureusement, Yann Arthus-Bertrand est là.

Un jour, le célèbre photo­graphe vu du ciel a pris conscience que son métier n'était « pas sans impact sur le réchauffement de la pla­nète ». Il faut dire que ça fait trente ans qu'il sillonne les airs en avion et hélico pour prendre ses fameuses photos : question émission de CO2, il enfonce donc largement le Français moyen. L'ami de la planète en lui a fini par se sentir mal. Du coup, il a créé l'association Goodplanet et son programme « Air Car­bone ». Une idée tellement belle qu'elle a séduit la SNCF et tout récemment Air France (« L'Express », 31/5).

La chose est simple : grâce à l'éco-calculateur disponible sur Internet, tu calcules com­bien tu vas émettre de CO2 lors de ton prochain voyage en avion ; si tu dépasses ton quota, tu verseras à « Air Car­bone » (par chèque ou carte bancaire, don déductible des impôts) une somme compen­satoire qui financera une « re-forestation en Colombie », ou des « cuiseurs solaires dans les pays andins », ou la « valorisation de déchets à Ma­dagascar ». Ayant ainsi « compensé », tu te sentiras tout de suite mieux. Super-sympa, non ? D'ailleurs, Ni­colas Hulot, grand voyageur lui aussi, s'y est mis aussi sec. Au X siècle, le trafic des indulgences battait son plein : il suffisait de mettre quelques pièces dans l'escarcelle du curé, et hop, voilà qu'un péché était pardonné ou qu'on vous supprimait des années de purgatoire. Le pape Jean XII (937-964) avait même rédigé le tarif des péchés : l'inceste valait tant, la sodomie tant, la bestialité tant, etc. Raquez pour nous pauvres pécheurs ! Comme le notait Voltaire (1), les indulgences avaient ça d'épatant que « les vendeurs et les acheteurs y trouvaient également leur compte ». Pa­reil aujourd'hui : d'un côté Air France, tout en s'affichant écolo grâce à « Air Carbone », va pouvoir poursuivre sa « stratégie de croissance », acheter de nouveaux avions comme l'énorme A380, trans­porter toujours plus de pas­sagers (70 millions l'an der­nier). Et ces derniers seront d'autant plus enclins à aller faire une virée à Ushuaia et courir le monde qu'ils auront financé des cuiseurs solaires dans les Andes et auront la conscience tranquille. Le Moyen Age avait du bon, fi­nalement.

Jean-Luc Parquet

(1) Dictionnaire philosophique, article « Expiation ».

« Le Canard enchaîné » - mercredi 6 juin 2007 - 5

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